Extrait de La Belgique Apicole, 29(4) 1965 p 81-85 Avec leur permission. Original dans Deutsche Bienenzeitung et le Bee World |
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par le Frère ADAM, O.S.B. de lAbbaye St Mary de Buckfast, Angleterre Traduction et adaptation française par Georges LEDENT Uccle, Belgique |
La péninsule dAnatolie, nous lavons vu, présente tous les types de variations topographiques. Le climat, de subtropical, passe à la haute steppe aride et à des conditions presque arctiques, le tout dans une aire relativement réduite. A des conditions aussi largement diverses on sattendrait que corresponde une égale diversité dabeilles indigènes, et cest bien le cas, en effet. En attendant le résultat des études biométriques, basées sur les exemplaires quil nous a été possible de recueillir au cours de nos déplacements, et avant que soit possible un classement final, je puis indiquer en termes généraux les races trouvées et certaines de leurs qualités et caractères physiologiques.
Jusquici, il ny a pas eu en Asie Mineure dimportations tirant à conséquence. A lInstitut agronomique de Bursa on ma dit quen son temps on avait importé un certain nombre de reines dItalie mais que les reines dorigine étrangère donnaient une descendance agressive après fécondation par des faux-bourdons indigènes, en raison de quoi on arrêta les importations. En outre, vu que lapiculture moderne nest encore guère pratiquée couramment, on peut considérer que les abeilles recueillies nont pas été affectées de métissage et reflètent linfluence exercée par le milieu et les adaptations commandées par la Nature depuis des temps immémoriaux. Lapiculture pastorale, qui aurait pu jouer un rôle en la matière, nest que peu pratiquée, sauf dans les secteurs ouest touchant la Mer Egée, là où se rencontre aussi la plus forte concentration de colonies.
A lendroit le plus méridional de la Turquie, à Antakya dans les temps anciens Antioche labeille ne diffère pas de lA mellifera syriaca. Cest vrai aussi à Gaziantep. Toutefois, à Mersin, bien que les abeilles soient toujours extrêmement agressives, elles me semblent plus grandes et prolifiques et loin dêtre identiques dans leur aspect externe à la pure syriaca. Ces différences ont été confirmées lors des croisements faits à nos ruchers. Plus au Nord-Est, à Malatya, les différences (sauf pour la couleur) sont encore plus nettes. La couleur orange foncé se retrouve jusquà Erzincan, mais je nai pu établir jusquoù cela se continue vers lEst. On ne la trouve pas au Nord du Taurus. A Gümüsane, à quelque 80 km plein Nord dErzincan, nous aboutissons à une abeille noir pur qui me paraît distincte de la Caucasienne que nous connaissons déjà. Il peut sembler surprenant quà si courte distance dErzincan on trouve une race dabeilles si différente daspect autant que de comportement. Cest que ces deux localités sont séparées par une haute barrière montagneuse que les abeilles sont incapables de franchir. A Beyburt, à 80 km à lEst de Gümüsane, à 1500 m daltitude en bordure du plateau arménien, je tombai sur ce qui me parut être des métis. Le long de la Mer Noire, labeille foncée va jusquà Samsun. La répartition à lEst de Trébizonde reste à déterminer. Nous avons actuellement à nos ruchers quelques premières hybrides de cette race Pontique noire et les trouvons prolifiques, laborieuses à la récolte mais trop enclines à essaimer. Ce croisement est différent en de nombreux points de tout ce que nous avons expérimenté jusquici en fait de premières hybrides caucasiennes.
En ce moment nous avons à lexamen et à lépreuve des reines pures et des premières métis provenant dendroits allant de Mersin, au sud, au Sinope, au nord; et de lieux tout à lEst de lAsie Mineure allant jusquà lextrême Ouest, inclus le secteur européen de la Turquie. Mais jusquici, ces observations nont porté que sur une saison et, malheureusement, sur une saison qui fut calamiteuse et faisait suite à lhiver le plus rigoureux dans nos régions depuis 1740. Aussi na-t-il pas été possible, en dehors du caractère, de la fécondité, de la tendance à essaimer, de la dérive, du bon hivernage et de quelques autres caractéristiques, de se former une opinion sur leur capacité relative de récolte. Par contre, on ne pouvait rêver mieux pour mettre à lépreuve la capacité de survie hivernale de ces races et croisements. A quelques exceptions près, les abeilles dAsie Mineure ont suprêmement bien subi le test, tant les pures que les croisées.
Bien quil nait pas encore été possible de déterminer la valeur économique de nos importations de 1962, les éléments de preuve rassemblés portent à considérer que nous ne trouverons pas une abeille supérieure à celle dAnatolie Centrale. Comme nos premières importations remontent à 1955, jai pu me faire là-dessus une opinion passablement étançonnée.
Depuis quelle a commencé à exister, labeille a dû sadapter à son entourage immédiat ou périr. Labeille indigène, de quelque région quelle soit, est empreinte de la réflexion sur son caractère des qualités nécessaires à sa survie dans la région en question. De cela il nest sans doute pas dexemple plus classique que celui de labeille indigène dAnatolie Centrale, lA. mellifera anatolica.
Jai déjà donné une idée du climat exceptionnel de la haute steppe dAnatolie Centrale. Celui-ci, à son tour, marque de son empreinte la flore dont labeille dépend pour son existence. Sur les hauteurs de lArménie, les hivers sont reconnus moins rudes et plus longs, mais les conditions générales sont moins cruelles quen Anatolie Centrale, en fait les pires de toute lAsie Mineure.
Labeille dAnatolie Centrale ne paie pas de mine. Petite, ressemblant par la taille à la Cypriote, elle na ni léclat ni luniformité de couleur de celle-ci. Sa couleur peut le mieux se décrire orange brouillé tournant au brun sur les segments postérieurs tant dorsaux que ventraux. Le scutellum est généralement orange foncé. Les reines présentent un rebord foncé en forme de croissant à chaque segment dorsal une caractéristique commune à toutes les races orientales. Mais ici elles sont brun noir, et en place de jaune ou dorange clair nous avons chez elles un orange foncé. Mais sous cet extérieur sombre, sont cachées des qualités économiques dune valeur incomparable.
Labeille anatolienne se porte aux extrêmes, tant dans ses qualités que dans ses défauts. Par bonheur ses caractéristiques fâcheuses sont peu nombreuses, la plus sérieuse étant son penchant à édifier de folles bâtisses à tout propos et hors de propos. Cela ne tire guère à conséquence dans lapiculture primitive avec cadres fixes, mais lexcès rend nuls et non avenus les avantages essentiels du mobilisme. En outre, lanatolienne empire la situation en usant de propolis à profusion. Toutefois lun et lautre de ces défauts sont largement atténués, sinon éliminés lorsque les reines sont croisées avec une bonne lignée ditaliennes, voire de carnioliennes. Tout compte fait, ce nest que lorsquil y a métissage convenable au premier et au second degré que la plupart des apiculteurs peuvent envisager de sassurer les meilleurs rendements économiques de labeille anatolienne.
Quant aux qualités, je crois pouvoir déclarer en toute sincérité que lanatolienne est incomparable, en tout cas en capacité de butinage, en frugalité et pour lhivernage. Le croisement la rend extrêmement prolifique. A la mi-juin, la chambre à couvain dune Dadant-Blatt aura généralement ses douze cadres pleins à bloc de couvain et de miel. Pourtant cette abeille nexagérera pas son élevage hors de saison, comme tant de races ont tendance à le faire. Elle démarre lentement au printemps; elle ne sefforcera pas exagérément de développer le nid de ponte avant le retour des beaux jours, mais ceux-ci venus, elle battra toute autre race.
Elle ne gaspillera pas de précieuses provisions en espoirs prématurés et inutiles par les temps variables et défavorables dun début de printemps. Après la grande miellée et lors de disettes, elle sarrangera de façon habile à gérer ses réserves de provisions et dénergie. Je considère la frugalité de lanatolienne, en particulier dans nos conditions incertaines de climat et de miellée, comme lune de ses qualités économiques les plus précieuses, qualité qui fait si tristement défaut chez tant de nos lignées daujourdhui, qui élèvent inconsidérément en période de disette. Lexpérience a montré que lanatolienne prend soin delle-même par temps de pénurie, de raté, alors que dautres meurent de famine.
Jai signalé la grande fécondité et la capacité délevage de cette race. Néanmoins je voudrais relever, que là où cela pourrait savérer désirable, on pourrait par sélection, développer une lignée qui saccommoderait des dimensions dun nid à couvain unique, aux dimensions standard anglaises. Bien que tellement prolifique après croisement, lanatolienne ne sadonne pas à lessaimage, comme nous lavons démontré expérimentalement. Elle a aussi fort bon caractère, supportant les manipulations avec le plus grand calme bien que réagissant vivement par temps froid et tard le soir. De plus, en fait dhumeur, il semble que, suivant les lignées, de fortes différences se présentent, ainsi que jai pu le constater moi-même en Turquie. Mais sous ce rapport lanatolienne ne fait pas exception : à ma connaissance, il nexiste pas de race où ne se marque une différence dune lignée à lautre. Un croisement non approprié ou une fécondation laissée au hasard des rencontres de faux-bourdons provoquera de lirascibilité chez presque nimporte quelle race ou lignée.
Comme signalé antérieurement, lanatolienne est douée dune capacité de travail inépuisable, une faculté qui lui permet de traduire ses autres qualités en valeurs concrètes. De fait, cette abeille personnifie le développement maximum de ce que toute race que jai étudiée peut avoir dindustrieux et de capacité à récolter. En outre, nous avons ici une abeille qui, non seulement fait merveille si la saison est bonne, mais aura un rendement exceptionnel si elle est médiocre ou mauvaise. Ceci tire davantage à conséquence et est pratiquement plus important quune performance brillante à loccasion dune saison réellement bonne. La capacité de tirer parti, même du plus mauvais été, a été clairement démontrée au cours de la saison désastreuse de 1963. Dautre part, au cours de la saison exceptionnellement bonne de 1959, alors que notre moyenne se trouva portée à 67,8 kg par colonie, les croisées anatoliennes dépassèrent nettement ce chiffre et comblèrent notre attente en tout point.
LAnatolienne possède nombre de qualités et de caractéristiques qui effareraient qui nest pas au courant des particularités de cette race. Par exemple, les reines anatoliennes mettront dhabitude une huitaine de plus à entrer en ponte après fécondation. Cette particularité na, semble-t-il, rien à voir avec le temps : le fait se produit même quand le temps est idéal à la fécondation. Dautre part, jai constaté que le quart des reines feront un service plein de quatre années sans perte dans leur énergie ni dans leur fécondité, même dans une colonie de production normale. Il est permis de présumer que cette longévité exceptionnelle tout à fait remarquable compte tenu de la grande fécondité des reines se transmettra dans une certaine mesure à leur progéniture douvrières. La force extraordinaire de ces colonies, corrélative à la fécondité effective des reines, ne peut guère sexpliquer autrement.
Je voudrais une fois de plus mettre en relief ceci : on ne peut tabler sur lAnatolienne pure pour lobtention de performances maximum. Ce nest que croisée convenablement que la race manifeste pleinement son potentiel économique. De surplus, comme jusquici aucune sélection na été faite dans le pays dorigine, on ne peut se procurer demblée des reines des meilleures lignées. Mais sans aucun doute, en raison des grands progrès en train de saccomplir en Turquie, les chances pourraient augmenter dobtenir du matériel délevage sélectionné.
Tandis que javais la bonne fortune de découvrir en Anatolie centrale une race dabeilles dune valeur économique éminente, mes deux voyages en Asie furent accompagnés de vicissitudes et de difficultés sans nom. Je fus aussi contraint dabréger mon programme de 1962 à la suite dun accident. Tandis que je roulais aux abords du lac dEgridir un pneu éclata bien que jeusse monté des pneus spécialement renforcés en vue de pareille éventualité. La voiture fut emportée au bas dun haut talus et se renversa sur un tas de caillasses. Heureusement le dommage nétait que superficiel. Des secours arrivèrent ; la voiture fut ramenée sur la route et nous pûmes poursuivre jusquau prochain village. Pour une réparation plus complète, je dus attendre davoir atteint Salonique quelques semaines plus tard.
Je voudrais exprimer mes remerciements au Ministère de lAgriculture pour son aide, ainsi quaux deux officiers M. Sevki AKALIN qui maccompagna en 1954 et M. KARAMAN qui fit de même en 1962. Je souhaiterais également exprimer mes sincères remerciements à lAmbassade Britannique, de même quà lAmbassade dAmérique pour laide précieuse fournie.
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