publié en français dans
La Belgique Apicole, 19(10), 1955, 274-280; avec leur permission. Original in Bee World, 35(10), 1954, 193-203. |
[ Bibliographie ] [ Original in English ] [ 1 ] [ 2 ] [ 3-4 ] [ 5 ] [ 6 ] [ Premier voyage - 1951 ] [ Troisième voyage - 1961 ] [ Conclusions des voyages - 1964 ] |
par le Frère ADAM, O.S.B. Abbaye St Mary, Buckfast, South Devon - Angleterre. Traduction et adaptation française par Georges LEDENT Bruxelles, Belgique |
Labeille indigène de Yougoslavie occidentale, du Monténégro et de Bosnie a la réputation dêtre plus prolifique et moins essaimeuse que la carniolienne type de Slovénie. Malgré la réputation qua cette dernière dêtre prolifique, jai été contraint, depuis quelques années, de conclure au contraire. Le degré de fécondité dune race ou dune reine individuelle est plutôt un concept arbitraire, et la carniolienne est certainement prolifique en comparaison de lancienne abeille anglaise indigène; CHESHIRE et COWAN se sont manifestement livrés à une comparaison de ce genre et il semble que leur verdict ait été répété depuis lors, sans avoir fait lobjet dun contrôle. La carniolienne moyenne nest pas prolifique suivant notre standard. Nous avons récemment mis à lépreuve plus dune douzaine de lignées que nous nous étions procurées dans des parties fort différentes de son habitat natif et la plupart dentre elles narrivaient pas à remplir de couvain plus de sept cadres M. D. (Dadant standard), au plus fort de la saison, alors que notre lignée en garnissait dix, sans peine. Par suite, cest avec un intérêt aigu que jenvisageais une enquête dans les Alpes Monténégrines et dans la haute chaîne de montagnes longeant la côte dalmate, étant donné que jespérais avec confiance y trouver une lignée mieux adaptée à nos desseins particuliers.
En quittant la Grèce, jentendais gagner Skoplje pour ensuite piquer aussitôt à louest, en direction de Cetinje, tout de suite au Nord de lAlbanie, et poursuivre par Raguse, Sarajevo, Split et Ljubljana. Hélas, une mésaventure, le dernier jour où jétais en Grèce un pneu éclaté impossible à remplacer nous obligea à prendre la route moins hasardeuse de Skoplje à Nich, Belgrade, Zagreb et Ljubljana. Même, cela étant, le voyage savéra effroyable, et nous avions la sensation de ne pas avoir de pneu de rechange. Mais après un trajet de cauchemar, dans une région où les routes sont quasi inexistantes, nous arrivâmes enfin sain et sauf à Ljubljana.
Ljubljana, connue antérieurement sous le nom de Lublin ou Laibach, est le centre et le quartier général de lAssociation des apiculteurs slovènes : Zveza Cebelarshih Drustev v Ljubljana, qui ma aidé dans mes recherches en Slovénie. Cette association, comme la plupart des autres sur le Continent, fournit ses membres en équipement de toute espèce au prix coûtant. Elle publie également un journal mensuel dune très haute tenue, le « Slovenska Cebelar ». Les membres de lassociation possèdent ensemble 70 000 colonies, dont 50 000 logées en ruches modernes. Le nombre total de colonies en Yougoslavie est denviron 800 000, dont la moitié en ruches modernes.
Nous nous sommes procuré nos premières reines carnioliennes, il y a plus de cinquante ans, chez Michel Ambrozic, de Moistrana, Haute-Carniole, lequel a fondé le commerce mondial de ces reines et abeilles. Depuis lors, nous avons eu des reines importées de sources diverses, avec des résultats divers, mais il avait été impossible dobtenir une importation directe de Carniole depuis 1939. Doù le vif intérêt avec lequel je me disposais à visiter lhabitat central de cette race. En outre, javais une idée que je mettrais la main sur quelque chose de valeur spéciale, sans parler de lacquisition dune connaissance plus précise de lambiance ayant contribué à former le type le plus classique de carniolienne quon trouve dans cette région.
Notre enquête nous mena dabord en Basse-Carniole, au sud et sud-est de Ljubljana. Les abeilles sont passablement uniformes, mais comme nous nous écartions de la Carniole centrale, soit plein est, sud ou sud-ouest, les légères variations des caractéristiques externes allaient saccusant. De plus, il arrivait que lhumeur des abeilles laissât à désirer. Néanmoins, à lest de Ljubljana, près de la frontière hongroise, il me parut que les abeilles étaient plus prolifiques et, peut-être, moins essaimeuses, mais dextérieur moins uniforme ceci peut-être dû en partie à linfluence de labeille du Banat, une sous-variété de la carniolienne, dont lhabitat central se situe plus à lest ou sud-est de Maribor. Un mois plus tard, jai eu loccasion dexplorer la région adjacente au Nord, en approchant de la Hongrie, depuis la Styrie.
Labeille carniolienne, dans sa forme classique et dans sa plus grande uniformité, ne se rencontre que dans lisolement de la Haute-Carniole, en particulier dans la vallée isolée courant en direction plein Ouest de Bled. Les Karawanken les dominent au Nord et Nord-Est, les Alpes Juliennes à lOuest et Sud-Ouest, constituant un barrière infranchissable. De fait, cette charmante vallée de Bled à Bistrica forme une des plus parfaites stations délevage dessinée par la Nature, et il nest pas surprenant quy soient élevées certaines des meilleures reines carnioliennes.
Au cur même de cette vallée vit Jan STRGAR, connu dans le monde entier comme éleveur de reines carnioliennes. Son établissement a été fondé en 1903, et une partie considérable du « Slovenski Cebelar » de décembre 1953 ,a été fort à propos consacrée à commémorer cet événement. En dépit de son âge avancé, Jan STRGAR semploie encore activement à lapiculture et à lélevage de reines ; fait curieux, il sen est tenu jusquà ce jour au primitif Bauerkasten « boîte paysanne », avec plein succès, semble-t-il. La majorité des reines carnioliennes envoyées en Angleterre entre les deux guerres mondiales provenaient de Bitnje, Bohinjska Bistrica. Un éleveur connu, José SUSNIK, Brod 1, Bohinjska Bistrica, a une station délevage au débouché Ouest de la vallée; Franc VOOK, Hros 27, Lesce, Bled, est un autre éleveur fort réputé.
Dans mon premier rapport (le premier voyage : voir « Bee World », vol. 32 et « Belgique Apicole », 17, janv.-juillet 1953), jai décrit assez à fond les caractères généraux de labeille carniolienne. Cette description vaut également pour les lignées trouvées en Carniole même. Sans doute, il existe quelques variations : de fait une variation étendue entre une lignée et une autre est un des traits les plus marqués de la race. Nous avons certaines lignées dont luniformité des caractères extérieurs aurait difficilement pu être surpassée, mais qui se sont avérées, en pratique, dépourvues de valeur. On attache trop dimportance, souvent, à luniformité, en particulier, chez la carniolienne. Un facteur vers le jaune est présent dans sa composition génétique, qui se manifeste souvent comme variation saisonnière. Léleveur dune des meilleures lignées ma assuré quil nest pas rare que ses abeilles accusent une certaine coloration jaune sur les premiers segments dorsaux au début de lété, laquelle disparaît complètement des générations suivantes élevées par température plus basse en automne. En réalité, les meilleures lignées (jugées au rendement) que jaie rencontrées jusquici sont connues pour montrer passablement de jaune. Dans toute race, les variations de couleur et de robe se manifestent de la façon la plus saisissante chez les reines et ceci est particulièrement vrai chez la carniolienne. On risque dattacher trop dattention à luniformité extérieure et de perdre de vue lobjectif autrement important quest la performance.
Un fait sensationnel est labsence complète de maladies du couvain dans tout lhabitat natif de la carniolienne. Ceci ma fortement impressionné, car dans tous les pays que jai visités jusquici (à lexception de la Crête), la loque américaine et la loque européenne sont communes, et dans certains cas, endémiques. Mais la Carinthie et la Carniole semblent former un îlot dimmunité. Acariose, Nosema et paralysie sont présents, mais pas de loque. Son absence ne peut être fortuite : les barrières montagneuses retarderaient sans lempêcher la progression de la maladie, et jai vu de la loque américaine dans une région quasi inaccessible des montagnes du Pinde, aux confins de lAlbanie. Nous sommes en présence, ici, non dune immunité véritable, mais probablement dune résistance innée.
Les conditions apicoles en Carniole, surtout en Haute-Carniole, sont fort semblables à celles de la province autrichienne touchant la Carinthie. Néanmoins, en Carniole centrale et basse, surtout dans la région montagneuse longeant lAdriatique, il y a une flore nectarifère plus variée. En Haute-Carniole, le miellat des pins constitue la source principale. En Carniole basse et centrale, le tilleul abonde et paraît donner généreusement ici ; il était en plein épanouissement lors de ma visite et jai pu prendre un échantillon de miel de tilleul pur. Un autre miel de qualité supérieure est récolté en août et septembre, dans la région montagneuse de Dalmatie, de la sarriette de montagne, Satureia montana. Certains des apiculteurs les plus entreprenants transportent leurs ruches au printemps sur le romarin qui croît à profusion sur certaines îles de la côte dalmate. Ainsi sont réalisées certaines récoltes admirables dun miel de qualité suprême. Nombre de colonies sont aussi transportées dans la péninsule dIstrie, à fin juin, en vue du miel de châtaignier, lequel est cependant de moindre qualité, il existe de nombreuses sources secondaires, et la flore, en général, est plus favorable à lapiculture dans le Nord-Ouest de la Yougoslavie que dans le territoire autrichien adjacent.
Je nai pas didée du moment où lon commencera à avoir recours à des pavillons. En Carniole, ils sont acceptés et forment partie intégrante tant de lapiculture primitive que moderne. Pour lapiculture pastorale, les ruches sont empilées dans des abris formés de panneaux. Je nai pas vu de pavillons en Yougoslavie en dehors de la Carniole.
La population yougoslave est renommée pour sa cordialité et son hospitalité et jen reçus plus que ma part. Le soir de mon départ, lAssociation des Apiculteurs slovènes organisa une grande réunion dadieu à Ljubljana. Entre autres choses, des souvenirs de lantiquité apicole me furent offerts en signe de bienveillance. Jai une grande dette de gratitude envers le Président de lAssociation, Krmelj MAKS, son secrétaire plein dentrain, Franc CVETKO et les éditeurs du « Slovenski Cebelar », Vlado ROJEC, Stane MIHELIC et Josip KOBAL. Que tous soient remerciés du fond du cur. Et dans mon souvenir ne seffacera pas toute la gentillesse du peuple slovène à mon égard.
En quittant la Yougoslavie, javais une série de recherches à faire en Carinthie et en Styrie, régions adjacentes, dont le haut intérêt devait se manifester en temps voulu. Néanmoins, les Alpes Ligures furent le théâtre important de mes recherches suivantes. Jy avais fait une brève visite en octobre 1950, sans être en mesure de me procurer des reines liguriennes en raison de la saison trop avancée.
Le renom mondial de labeille italienne tient en partie au succès consécutif aux premières importations faites, il y a tantôt un siècle. Ces abeilles provenaient des Alpes Ligures doù le terme abeilles ligures. Suivant ce que nous avons trouvé, loriginale abeille italienne fauve, incorporant toutes les qualités qui lont rendue si populaire, ne se trouve que dans les Alpes Ligures, dans la région montagneuse entre La Spezzla et Gênes.
Valeur pratique mise à part, je sentais quune connaissance plus approfondie de la Ligure basanée aurait une influence profonde sur nos expériences ultérieures de croisement. Après beaucoup defforts, voilà que je pouvais maintenant me procurer des reines du type requis. Le paquet contenant les précieuses reines fut laissé dans ma chambre durant la nuit, prêt à être mis à la poste le lendemain. A ma surprise, le lendemain matin, table et paquet grouillaient de petites fourmis noires, et lorsque je touchai le paquet, des milliers de ces maudites bêtes dégringolèrent de louate entourant les cages. Toutes les reines et toutes les abeilles avaient été tuées par les fourmis. La perte de mes abeilles ligures fut le plus grand désappointement du voyage. Je ne pouvais pas revenir sur mes pas : le temps me manquait et mon énergie était à bout.
Je nen partis pas moins vers le Midi de la France, pensant bien embrasser la Péninsule Ibérique. Mais bientôt, il devint manifeste que leffort longuement soutenu depuis février rendait indispensable un arrêt et une récupération de repos et je retournai à Buckfast, le 29 septembre.
Graduellement, sûrement et pas à pas saccumulent les informations relatives aux multiples races de labeille mellifère et il en ressort une connaissance plus précise de lordre de leur répartition. Ainsi, doucement sélabore le puzzle des races. Le mode de leur évolution se révèle étape par étape, si bien que les défauts et les qualités de chacune peuvent être remontés jusquà leur berceau primitif. Par degrés, nous arrivons à comprendre plus parfaitement et plus exactement le vaste fondement de potentialités dont nous disposons pour créer « labeille parfaite ». Mais beaucoup reste à faire, vu que dans des entreprises de cette espèce, où difficultés et retards imprévisibles sont inévitables, le temps est un facteur de première importance.
Je désire exprimer ma profonde gratitude au Dr C.G. BUTLER, pour son aide constante et à M. A.W. GALE pour sa générosité. Luvre naurait pas pu être poussée à ce point sans lassistance dont, fort à propos, ils nous firent bénéficier.
Nous avons eu le privilège de suivre pas à pas l'itinéraire tracé par Frère ADAM dans ces sites méditerranéens, berceaux millénaires de notre civilisation.
En relatant ses passionnantes recherches, il nous a donné d'un trait de plume alerte, en même temps que des images pittoresques de ces pays, une idée du dynamisme qui l'anime et de sa compétence de chercheur apicole.
Nous lui exprimons ici, avec gratitude et respect, nos remerciements chaleureux pour l'autorisation qu'il nous a si aimablement accordée de traduire et de publier son rapport.
M. Georges LEDENT a bien voulu nous rendre l'inestimable service d'être le fidèle et scrupuleux interprète du texte original anglais. Nous ne pourrions mieux l'en féliciter qu'en reproduisant les mots de Frère ADAM qui lui écrivait le 10 juillet dernier (1955) l'expression de ses « remerciements reconnaissants pour l'excellente traduction » faite de ses notes.
Nous y joignons de tout cur ce témoignage de notre sympathie.
Achille LECOCQ, rédacteur
La Belgique Apicole,
Octobre 1955.
publié en français dans
La Belgique Apicole, 19(10), 1955, 274-280; avec leur permission. Original in Bee World, 35(10), 1954, 193-203. |
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