publié en français dans
La Belgique Apicole, 19(8-9), 1955, 235-242; avec leur permission. Original in Bee World, 35(12), 233-245. |
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par le Frère ADAM, O.S.B. Abbaye St Mary, Buckfast, South Devon - Angleterre. Traduction et adaptation française par Georges LEDENT Bruxelles, Belgique |
Après deux jours de mer, vers midi, le 6 juin, nous étions en vue du cap Sunium. En fin daprès-midi, nous arrivions à Athènes et avions devant nous ce qui allait être les trois semaines les plus exténuantes et épuisantes de notre tournée.
A part lindication sommaire quil y a en Grèce plus de colonies dabeilles par habitant que dans tout autre pays (environ une par dix habitants), la situation de lapiculture dans cette partie extrême du Sud-Est de lEurope était fort peu connue. Le grand nombre de colonies était, dans une certaine mesure, lindication dune prospérité apicole, mais nimpliquait pas nécessairement un rendement substantiel par colonie. Ce dernier aurait fait présupposer, entre autres choses, une abeille indigène remarquablement douée. Les doutes que j'avais sur ce point ne furent pas longs à être dissipés.
Le lendemain de notre arrivée nous trouva explorant lAttique, poussant au Sud jusquau cap Sunium, avec le Dr A. TYPALDOS-XYDIAS et M.C. MICHAELIDES. Le Dr XYDIAS, venu à ma rencontre la veille, au Pirée, a été durant de nombreuses années Conseiller Technique au Ministère de lAgriculture et peut être considéré comme le père de lapiculture moderne en Grèce. En fait, journellement, je me suis rendu compte, au cours des quelques semaines suivantes, que le Dr XYDIAS est connu et estimé de chaque apiculteur grec.
Nos tournées nous ont amenés deux fois au Péloponèse, et ensuite, de Patras nous poussions à Missolonghi, Arta, Janina, Konitse; de là à Metsovon au cur de la chaîne du Pinde et, plus loin, à Kalambaka, Grevena, Kozania, Veria, Edesse, Salonique et la partie de pays au Nord-Est de cette ville. je fis seul lexcursion en Crète, où les autorités agricoles de lîle mapportèrent toute laide désirable. Les dispositions étaient déjà prises en vue dune visite à quelques-unes des îles de la Mer Egée, à laquelle tant le Dr XYDIAS que moi-même attachions beaucoup dimportance étant donné que cest là tout comme à Chypre quil y a des chances que se trouve le matériel délevage le plus précieux. Par malheur, en fin de compte, le temps me fit défaut pour cette visite.
Les Athéniens de lantiquité, nous a-t-on dit, faisaient constamment léloge de quatre choses : leur miel, leurs figues, leurs baies de myrte et les Propylées [Portique de lAcropole dAthènes, admirable édifice en marbre blanc, édifié de 437 à 433 avant J.-C.]. Le miel dont les Athéniens étaient si fiers était récolté sur le mont Hymette, immédiatement à lEst de la ville. Il provient du thym de montagne, (Thymus capitalus). Il est fortement aromatique, avec beaucoup de corps, et de teinte ambre clair. Cest en effet un miel délicieux au possible, mais qui ne flattera pas toujours nos palais habitués aux senteurs subtiles de nos miels nordiques plus pâles. Le thym sauvage nest pas lapanage que du mont Hymette; il est répandu dans toute la Grèce méridionale, le Péloponèse et la Crète où il constitue la source principale de nectar. Dans ces régions, il prospère sur tout versant dénudé, rocailleux, stérile, où, à son exception près, rien ne tient par suite du manque dhumidité. A mon arrivée, il commençait précisément à fleurir et certains ruchers que je visitais embaumaient le riche parfum du nectar fraîchement récolté. Cependant il me fut dit que la sécrétion ne donnait pas abondamment par manque dhumidité.
Les plantations dorangers et de citronniers abondent dans les régions maritimes de la Grèce méridionale mais, Arta mis à part, leur extension natteint jamais celle des plantations du Moyen Orient et de lAfrique du Nord. Dautres variétés fruitières à bon rendement pour les abeilles se situent dans la partie Nord du pays, entre Veria et Naoussa. En réalité, cest là que se font les plus fortes récoltes de miel. Elles proviennent principalement du trèfle, du noisetier, de la sauge sauvage, de la sarriette de montagne et de miellat. La Crète possède une flore nectarifère extrêmement riche et variée avec quantité despèces de bruyère Erica, lesquelles sembleraient être absentes dans le Levant.
Il y a en Grèce quelque 700 000 colonies dabeilles, et jai été fort impressionné par lefficience de lapiculture grecque, tant moderne (avec des ruches Langstroth) que primitive. En Europe septentrionale, lapiculture est généralement considérée comme un à-côté, ou comme un passe-temps plaisant, et les apiculteurs nont souvent que trois ou quatre ruches. Il nen va pas ainsi en Grèce ! Il y a probablement plus dapiculteurs professionnels en Macédoine que nimporte où en Europe. Lapiculture pastorale est un fait acquis et se pratique sur une grande échelle avec des résultats très honorables. Il ma été dit que des moyennes de cent kilos ne sont pas rares. Dun point dobservation bien placé, à quelque cinquante km au Nord-Est de Salonique, il était possible de repérer des ruchers ne totalisant pas moins de deux mille colonies le district fourmillait littéralement dabeilles. A lOuest, passé Edesse, dans des régions quasi inaccessibles, aux confins de lAlbanie, des ruchers importants étaient blottis partout au creux des collines et les milliers de colonies quils comportaient venaient tout juste dêtre amenées là de fort loin. De-ci, de-là se voyaient de tout aussi importants ruchers de ruches primitives, amenées elles aussi dans ces parages inhospitaliers. Les apiculteurs professionnels, modernes tout comme primitifs, dépendent de lapiculture pastorale pour réaliser un revenu tout comme sur lequel ils puissent compter.
Lapiculture primitive, en Grèce, est instructive et de grand intérêt du point de vue historique. Nous savons que la ruche-panier daujourdhui était dusage courant en Grèce il y a plus de trois mille ans et que le principe du cadre mobile, redécouvert il y a environ un siècle, était en fait appliqué dans cette ruche par les Grecs antiques. La ruche est construite en matière tressée et a la forme dun pot à fleurs en terre. Sa profondeur est de 58,5 cm, le diamètre supérieur est de 38 cm et linférieur de 30,5 cm à lintérieur. Neuf barres larges de 38 mm, pour être exact sappliquent sur le bord. Les rayons sont attachés à ces barres, exactement comme dans la ruche inventée par DZIERZON vers le milieu du siècle dernier. En y mettant un soin un peu particulier, chacun des neuf rayons peut être examiné séparément avec autant de liberté que dans une ruche moderne à cadres. En outre, la forme de cette ruche grecque correspond aux inclinations naturelles des abeilles mieux que ne le fait aucune ruche rectangulaire moderne. En Grèce, les paniers reçoivent une généreuse couche dargile extérieurement et intérieurement, alors quen Crète, pour une raison quelconque que je nai pu découvrir on ne met quune couche mince à lintérieur et sur 5 cm à lextérieur, le long du rebord inférieur. En Crète, on rencontre parfois des ruches en poterie de mêmes forme et dimensions. Elles sont moulées habilement avec un crucifix au-dessus de chaque entrée. Parfois aussi, on voit des ruches faites de roseau, quelque peu semblables à notre propre panier anglais, complet avec son surtout. Mais les paniers grecs sont dhabitude plus grands, plus hauts et plus pointus. Un type, moins répandu, a le dessus arrondi en dôme.
Tous dépassent en capacité leur correspondant anglais traditionnel. Je nai pas vu de ruches en argile séchée au soleil ou en tiges de ferula, bien que la ferula thyrsifolia soit fort commune en Grèce.
En Crète, particulièrement dans la péninsule au Nord de la baie de Suda, jai vu des ruchers importants situés en plein milieu du thym sauvage composés entièrement de ruches en clayonnage. Losier nu avec quelques poignées de roseau jetées par-dessus composaient toute la protection et labri. Certains de ces ruchers primitifs contenaient plus de cent ruches.
A quelques milles au sud-est de lantique Mycène et du tombeau dAgamemnon en Argolide, Péloponèse il y a une cour clôturée de murs, unique ne comptant pas moins de nonante-huit (98) fûts à abeilles, chacun coiffé de sa ruche-panier pourvue en complément de son épais revêtement dargile, qui semble traditionnel dans cette partie de la Grèce. Même dans lancien temps, il semble quil ait été attaché beaucoup dimportance à la direction vers laquelle les ruches devaient être tournées car chacun de ces fûts regarde lEst ou le Sud-Est.
Labeille indigène de lextrémité sud-ouest de lEurope ne paraît jamais avoir attiré lattention jusquici, pour quelque inexplicable raison. A vrai dire, elle nest pas douée de cet éclat qui forcerait lattention. Mais en tant quabeille « pour travailler » en général, elle na peut-être pas sa pareille. Elle rappelle la caucasienne dans nombre de ses caractéristiques tendance à propoliser et construction de jonctions en fragments de rayon. Ces deux défauts sont moins développés chez labeille grecque et, dans certaines lignées, sont négligeables. Ses qualités les plus marquées sont douceur, prolificité et peu de propension à lessaimage. Je ne suis tombé sur aucune colonie colérique, sauf en Crète. Lapiculteur grec na presque jamais recours à lenfumoir : un bout de champignon incandescent est généralement placé sur les cadres pendant quon procède à un examen. Les abeilles en cours de manipulations se comportent avec autant de bonne humeur et de calme que la moyenne des carnioliennes. Leur capacité délevage est réellement phénoménale : je suis enclin à penser quaucune autre race natteint leffectif dune colonie grecque ou surtout dune reine grecque croisée avec un mâle italien ou carniolien. Mais, à la différence des races italienne ou orientale, lélevage est fortement restreint après la mi-juillet en fait trop fortement pour les buts que nous poursuivons. Le nid à couvain peut très bien se trouver plein à bloc de provisions à fin juillet. Le couvain est compact et irréprochable à tous points de vue, et notre expérience nous conduirait à estimer que labeille grecque est moins encline à essaimer que nimporte quelle race ou lignée que nous avons expérimentée à nos ruchers. Mais elle est nettement propoliseuse, bâtit volontiers des raccords, et ses opercules ont un aspect assez aqueux. Nos expériences préliminaires et nos observations indiquent que labeille grecque réunit par excellence les qualités de la butineuse de grande classe.
Aristote avait observé que les abeilles de Grèce nont pas une couleur uniforme. De son temps, les abeilles marquées de jaune étaient considérées comme les meilleures. Actuellement, les abeilles grecques sont brunes, avec un segment jaune ressortant par-ci par-là.
Néanmoins à lOuest de la Chaîne du Pinde, de Missolonghi à Janina, elles sont uniformément noires. A janina, on nous a assuré que près de Konitza, à la frontière albanaise, nous pourrions trouver une variété jaune pur, mais notre enquête sur place ne révéla quune pointe de jaune, ce qui se voit communément aussi bien à lest du Pinde quau cur de ces montagnes. Dans ces régions, il est rare de trouver une colonie absolument uniforme de couleur; une partie peu importante et variable des abeilles a un ou deux segments basanés. Comme on pouvait sy attendre, les reines offrent une gamme étendue de colorations. Les mâles, par contre, nen offrent pratiquement aucune.
La Crète dont la mythologie fait le berceau de labeille mellifère possède des abeilles présentant un pourcentage élevé de marquage jaune. De fait, les abeilles de cette île favorisée font un « assortiment varié » à tous points de vue. Avant que je ne quitte lEurope, on mavait assuré que je trouverais en Crète les plus gentilles abeilles existantes, mais lhumeur de certaines colonies que jeus à examiner indiquait sans conteste une influence orientale. A Chypre, jai trouvé la plus grande uniformité, en Crète une « désuniformité » bien ancrée.
Bien que notre expérience de labeille grecque se soit bornée à une saison, les résultats préliminaires indiquent que, partant dune bonne lignée, cette race pourrait savérer de grande valeur. Elle est sans conteste supérieure à la caucasienne, dont javais une expérience antérieure.
Quil me soit permis dexprimer combien jai apprécié laffabilité multiforme du Ministère grec de lAgriculture et de remercier le Dr A. TYPALDOS-XYDIAS et M.C. MICHAELIDES pour leur aide et leur générosité que je me rappellerai toujours avec gratitude. Mes remerciements vont aussi aux apiculteurs de Chalcidique dont laide a contribué de façon si décisive au succès final de tous mes efforts.
publié en français dans
La Belgique Apicole, 19(8-9), 1955, 235-242; avec leur permission. Original in Bee World, 35(10), 1954, 193-203. |
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