publié en français
par Payot, Paris, 1951. épuisé. |
par le Docteur Maurice MATHIS de l'Institut Pasteur de Tunis |
Au printemps, lorsque la température est favorable et les fleurs abondantes, un certain nombre d’abeilles quittent tumultueusement « en jet de vapeur » leur ruche natale, pour se regrouper au bout de quelques minutes en une masse compacte, suspendue à une branche d’arbre. Cet acte physiologique s’appelle, « l’essaimage », son résultat est « l’essaim ». Selon la latitude et la région considérée, l’essaimage sera plus ou moins précoce, mais le phénomène sera toujours identique à lui-même. Cette époque est la même à quelques jours d’intervalle pour une région déterminée, en étroite relation avec les floraisons, locales. En Tunisie, selon les régions, l’essaimage peut avoir lieu vers le milieu de décembre et le début de janvier dans les pays à romarins, si la floraison a été normale avec des pluies d’automne précoces ; dans d’autres régions, l’essaimage a lieu vers la fin mars — début d’avril ; en Provence, en avril–mai ; dans la région parisienne, de la mi-mai à la mi-juin.
Un essaim est toujours composé d’un certain nombre d’abeilles-ouvrières (plusieurs milliers), de quelques mâles (une centaine), et d’une ou plusieurs reines, selon qu’il s’agit d’un essaim primaire ou d’un essaim secondaire. La présence de la reine dans un essaim primaire est un fait tellement certain que, si l’on enlève cette reine d’un essaim qui vient de sortir d’une ruche, toutes les abeilles, désorientées, y retournent immédiatement.
Un essaim, normalement constitué, ayant à sa tête une reine en bon état, ne retourne jamais à sa ruche natale. Pour qu’un essaim soit naturel et normal, il faut trouver dans la colonie qui lui a donné naissance des cellules royales contenant des nymphes prêtes à se métamorphoser en reines adultes.
Un essaim n’est pas naturel et ne correspond pas à la définition que nous en donnons, si toutes ces conditions ne sont pas réunies.
Nous n’aurons pas un essaim naturel si toutes les abeilles d’une colonie abandonnent leur ruche au printemps, n’y laissant que des gâteaux de cire, vides de couvain, de pollen et de nectar ; c’est ce que les apiculteurs appellent « essaims de Pâques » ; de même, si les abeilles désertent leur ruche en masse au cours de la belle saison en abandonnant un certain nombre de larves à différents stades de leur évolution.
L’essaimage étant la forme de reproduction naturelle des abeilles, il faut que l’essaim possède en lui tous les éléments nécessaires à son évolution ultérieure et que la colonie qui lui a donné naissance soit capable de se reconstituer pour donner d’autres essaims dans la même saison, si la température se maintient favorable, mais surtout d’autres essaims l’année suivante.
Nous ne nous occuperons pour le moment que du comportement de l’essaim lui-même. Nous essayerons d’expliquer les termes populaires de « ruche-mère », de « ruche-mâle » et cette expression berrichonne « châtrer les abeilles » ou « couper la mouche ».
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L’essaim naturel, composé de plusieurs milliers d’abeilles-ouvrières, de quelques mâles et d’une reine constitue le point de départ initial d’une colonie d’abeilles. Il peut être comparé à une graine, à un œuf, à un embryon à terme.
Après le départ tumultueux des abeilles d’une ruche, le regroupement de ces mêmes abeilles autour de la reine constitue, le premier « acte social » de ces insectes. Dès la formation de l’essaim, nous retrouvons cette nécessité biologique de la vie en société. Une abeille isolée peut vivre quelques jours dans certaines conditions de température, d’humidité et de nourriture ; un mâle et une reine, quelques heures à peine.
L’essaim s’étant constitué, comment va-t-il se comporter ? C’est ce que nous allons examiner. Tout d’abord, les essaims se différencient à leur origine par leurs poids ou le nombre des abeilles qui les composent. Un essaim peut avoir de 10.000 à 60.000 abeilles. Au-dessous de 10.000 nous avons souvent à faire à des colonies rachitiques non viables ; au-dessus de 40.000, nous avons un essaim formé par la réunion de deux ou trois essaims qui sont sortis simultanément de plusieurs colonies et qui se sont groupés. Ces réunions sont quelquefois définitives, mais elles peuvent se scinder en autant de groupes qu’il y a de reines-mères fécondes.
Réaumur, pesant les abeilles d’un essaim, a trouvé, pour un poids de 8 livres, 43.000 abeilles : 168 mouches pesant une demi-once.
Charles Buttler dit que : « 4.480 abeilles font à peu près une livre anglaise. » Il apprécie de cette façon le mérite des essaims :
En 1806, Stanislas Beaunier déclare que ses essaims de 8 et 10 livres ont toujours été les meilleurs.
Nous avons cité ces quelques documents pour montrer l’importance que les anciens apiculteurs attachaient au poids des essaims.
Quel que soit le poids des essaims, tous se comportent de la même manière si les facteurs physiques qui les entourent sont favorables.
Prenons comme point de départ un essaim de 2 kg, c’est-à-dire d’environ 20.000 abeilles, suspendu sous une branche de bois rugueux. Les abeilles, ainsi groupées, prennent la forme d’une demi-sphère légèrement déformée par l’action de la pesanteur sur la masse des abeilles. Si le temps est favorable, des chaînes cirières se forment immédiatement et en quelques heures, nous verrons apparaître l’ébauche d’une série de petits gâteaux de cire blanche, parallèles les uns au autres. La distance qui les sépare, de centre à centre, est de 35 à 38 mm. Il y aura 5 gâteaux de tailles différentes, mais symétriques par rapport au gâteau central ; celui-ci aura une base de 20 cm et une hauteur de 25 à 30, avec une forme légèrement ovalaire, en fer de lance tronquée. Les deux gâteaux extérieurs seront plus courts et moins hauts. Les abeilles, dans leur construction, tendent ainsi à se rapprocher du volume de la demi-sphère, qui est le volume maximum, pour une surface rayonnante minimum.
Dès le lendemain, à mesure que se poursuit la sécrétion de la cire, quelques abeilles partent aux champs et reviennent avec des pelotes de pollen aux pattes postérieures. Après s’être posées sur la surface de l’essaim ; elles pénètrent au milieu de la masse des abeilles-cirières immobiles et totalement indifférentes.
A ce moment, si l’on écarte les abeilles avec un peu de fumée, on peut observer du nectar liquide dans les cellules de la partie supérieure des gâteaux du centre, une couronne de cellules contenant du pollen de différentes couleurs et des œufs dans les cellules de la partie centrale des gâteaux de cire. Les pans des cellules n’ont pas encore atteint leur hauteur définitive. Toutes les cellules que construisent les abeilles d’un essaim, sont toujours des cellules de la petite taille, destinées à l’élevage des abeilles-ouvrières.
La température centrale de la masse des abeilles, après avoir atteint 38 à 39°C au moment de la réunion, s’abaisse progressivement pour se maintenir d’une manière constante aux environs de 30°C.
Au bout de quelques jours, la croissance des gâteaux de cire cesse, mais la masse des abeilles les recouvre toujours dans leur totalité. Pendant les heures chaudes de la journée, les abeilles s’écartent les unes des autres ; au contraire, pendant la nuit, elles se rassemblent et s’immobilisent autour des gâteaux qu’elles protègent comme un véritable « manteau vivant ».
Lorsque les écarts de la température extérieure sont faibles, ne dépassant pas quelques degrés aux alentours de 30°C, et que l’atmosphère est chargée d’humidité, les deux gâteaux extérieurs peuvent contenir des œufs et des larves. Au contraire, si les écarts de température nocturne et diurne sont trop considérables, ces deux gâteaux extrêmes ne contiennent que du nectar ou du pollen, et servent, en quelque sorte, de parois protectrices.
Pendant les 21 premiers jours de son établissement, avant la naissance des premières abeilles, issues des œufs pondus, le nombre des abeilles de l’essaim tend à diminuer, par la mort naturelle d’un certain nombre d’entre elles. Le taux de la mortalité doit être très faible : quelques centaines à peine. En aucun cas, le manteau vivant qui recouvre l’ensemble des gâteaux de cire ne doit diminuer en épaisseur d’une manière sensible à l’œil de l’observateur, et encore moins devenir un haillon.
ÉTAT DE LA COLONIE. — 1° Au 21e jour. — Les premières abeilles vont naître à l’état d’imago, nous nous trouvons devant les données suivantes :
Nombre total des gâteaux de cire : 5 ; surface totale : 25 à 30 dm2, représentant 20.000 à 24.000 cellules. On peut admettre que les 20.000 abeilles ont édifié 24.000 cellules, élevé 20.000 larves et accumulé de deux à trois kg de miel.
A partit de ce 21e jour, la population va s’accroître quotidiennement de plusieurs milliers d’abeilles qui vont prendre part aux travaux de la colonie : récolte, élaboration de nouvelles cellules. La reine va pondre, non seulement dans ces nouvelles cellules, mais, de nouveau, dans les premières, libérées de leur contenu par la naissance des jeunes abeilles.
2° Au 43e jour. — La colonie se présentera de la façon suivante :
- 60 à 70 dm2 de gâteaux de cire comptant 48.000 à 56.000 cellules ;
- 40.000 larves à tous les stades de leur développement ;
- une réserve de miel de 10 à 12 kg ;
- une population de 40.000 abeilles.
Si la saison se maintient favorable, la colonie pourra encore se développer et compter en fin de saison, une population de 80.000 à 100.000 abeilles et une réserve de 25 à 30 kg de miel.
Tel est, approximativement et schématiquement, le développement d’une colonie d’abeilles dans les semaines qui suivent son établissement. Certains facteurs peuvent intervenir pour modifier ce développement ; nous les étudierons dans d’autres chapitres. L’un des plus importants, et le plus méconnu des praticiens, est la mortalité considérable des abeilles mêmes de l’essaim dans les quelques jours qui suivent son établissement ; cette mortalité peut aller jusqu’à 60 % de l’effectif primitif. A cette mortalité des abeilles peut s’ajouter celle des larves à tous les stades de leur développement, lorsque les abeilles ne peuvent pas entretenir dans une ruche trop grande les conditions normales de température et d’humidité propres à la vie des larves. Ainsi Sylviac écrit : « Un essaim de 10.000 abeilles, installé fin juin sur 15 cadres, en ruche à double paroi, est réduit à 4.500 abeilles en septembre. »
Malgré sa double paroi cette ruche était manifestement trop grande pour un essaim d’un kg.
En résumé :
- Un essaim aura d’autant plus de valeur qu’il sera plus précoce.
- Un essaim doit toujours être enruché dans une ruche suffisamment petite pour qu’il puisse en occuper tout le volume.
« Tous les apiculteurs savent combien l’essaimage naturel est incertain » écrit Langstroth. Tandis que certaines colonies donnent plusieurs essaims, d’autres, également nombreuses en abeilles et aussi bien approvisionnées, ne se décident pas à essaimer. » Della Rocca constate, comme nous l’avons déjà noté que « les essaims forment le plus grand profit des ruches ». Ces raisons nous font comprendre la recherche d’une solution par l’essaimage artificiel.
La pratique de l’essaimage artificiel remonte aux temps les plus anciens. Voici la technique encore courante au XVIIIe siècle dans l’île de Favignana, petit rocher situé dans la Méditerranée, à peu de distance des côtes de la Sicile, rapportée par François Huber.
« Les industrieux Favignanais construisent leurs ruches en bois : ce sont des caisses carrées longues dont les fonds antérieurs et postérieurs sont mobiles ; la caisse elle-même étant ouverte par le bas, repose sur son tablier : c’est avec ces ruches qu’ils pratiquent leur essaim de la manière suivante. Le printemps étant de beaucoup plus précoce chez eux que chez nous, ils peuvent procéder dès le mois de mars à la multiplication des ruches. Dès que les abeilles rapportent des pelotes, ils jugent le temps favorable à cette opération ; ils transportent alors la ruche à une certaine distance du rucher, ils l’ouvrent par le fond postérieur et chassent les abeilles avec de la fumée dans la partie antérieure, ils y coupent quelques gâteaux, qui contiennent ordinairement du miel ; chassant ensuite les abeilles dans la partie postérieure, ils prennent un certain nombre de rayons dont les uns sont vides, les autres remplis de couvain de tout âge (couvain d’ouvrières qu’ils appellent latins), ils transportent aussitôt ces rayons dans la nouvelle ruche qu’ils tiennent pour cela renversée et ouverte par dessus, ils les établissent dans le même ordre où ils les ont trouvés dans ruche-mère, et les font tenir au moyen de chevilles qui traversent depuis le dehors : cela fait, ils portent cette nouvelle ruche à la place de l’ancienne, et éloignent celle-ci à cinquante pas du rucher ; les abeilles qui reviennent de la campagne, trouvent une ruche analogue à celle dont elles étaient sorties, s’y logent, élèvent le couvain et prospèrent. »
On peut se rendre compte de l’ingéniosité et de la perfection de cette méthode qui remonte à Columelle ; mais jusqu’à la découverte fondamentale de la transformation d’une larve destinée à donner une abeille-ouvrière en une larve donnant une reine, par le philosophe allemand Schirach, aucun apiculteur ne savait exactement ce qu’il faisait. En fait, le procédé de Favignana est une division de colonie ou la constitution d’un essaim naturel possédant en plus un certain nombre de rayons. Il n’est pas certain que ces apiculteurs n’attendaient pas la présence de cellules royales naturelles pour procéder à cette opération bien que François Huber n’en dise rien. Ils évitaient ainsi une grande perte de temps.
Le procédé de Lombard, qui est encore utilisé de nos jours par les apiculteurs sous le nom d’« essaimage artificiel par tapotement », consiste à faire passer une partie des abeilles d’une ruche en paille dans une autre, vide, en ayant soin d’y faire pénétrer la reine. Cette ruche est placée à une certaine distance de la ruche-souche et les abeilles se comportent comme celles d’un essaim.
Avec les ruches à cadres, la mise en essaim d’une colonie est une opération des plus aisées. Il suffit de brosser devant une ruche vide, les abeilles de tous les cadres pris individuellement. L’opération pratiquée par les Favignanais est rendue particulièrement facile, d’une part par la mobilité des cadres et de l’autre par la possibilité de se rendre compte de la puissance de la colonie.
L’essaimage artificiel, quelle que soit la technique mise en œuvre, peut rendre de grands services à l’apiculture, mais il nécessite pour sa réussite une connaissance très exacte de la localité au point de vue mellifère ; de toute manière il ne peut être pratiqué que dans des limites de temps très faibles, se rapprochant le plus possible de la période naturelle de l’essaimage.
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