publié en français
par Payot, Paris, 1951. épuisé. |
par le Docteur Maurice MATHIS de l'Institut Pasteur de Tunis |
Avant d’entreprendre la description des méthodes qui peuvent nous donner le moyen de mieux connaître la biologie des abeilles, il nous a paru utile de résumer aussi brièvement que possible les idées que pouvaient avoir les Anciens sur cet Insecte. A côté de faits reconnus exacts par la suite, les Anciens croyaient à des faits merveilleux, inventés de toutes pièces ou dérivant de la mythologie. L’exposé de quelques-unes de leurs idées, nous permettra de mieux comprendre l’homogénéité et l’exactitude des lois biologiques des abeilles, telles qu’elles nous apparaissent à la lumière de la science moderne. Depuis Descartes, ce que nous voulons avant tout, ce sont les preuves et les moyens de vérifier par nous-mêmes ce que l’on avance. Nous ne pouvons pas reprocher aux Anciens de ne pas avoir eu la logique cartésienne, cette logique qui est la base de toute notre civilisation modernes.
L’abeille et le miel étaient bien connus en Egypte. Un même mot les désignait: « bit ». L’abeille était le symbole de la royauté de la Basse-Egypte, par opposition au roseau : « scirpus » symbole de la Haute-Egypte. La profession d’apiculteur « bity » est attestée dès le Moyen-Empire (vers 1900 ans avant J.-C.).
Aujourd’hui pour récolter le miel, les Egyptiens se servent comme ruches de cylindres creux en terre séchée au soleil ; longs environ de 1 m, 20 sur 0 m, 30 de diamètre. Ils les empilent les uns sur les autres, à l’ombre des arbres. Les pains d’alvéoles y sont placés les uns derrière les autres, verticalement, ce qui permet de les retirer successivement sans détruire l’essaim. La récolte se fait après enfumage de la colonie, une fois par an. Tout cela est bien décrit dans Hamy: « Les ruches en poterie de la Haute-Egypte » (C. R. de l’Académie des Inscriptions, 1901, p. 79).
Dans l’Antiquité les procédés de la récolte du miel paraissent bien avoir été les mêmes que de notre temps. Une scène du tombeau de Rekhmara à Thèbes (vers 1500 ans avant J.-C.) nous le prouve. Elle est reproduite dans Newberry : « The life of Rekhmara », pl. xiv. Elle avait été mal interprétée par les premiers éditeurs et avant eux par Virey. Le véritable sens en a été reconnu par Lefébure dans Sphinx, xi, p. 13 et par Loret dans Recueil de Travaux, xv, p. 129.
Voici comment Jequier (dans Matériaux pour un dictionnaire d’Archéologie égyptienne, p. 163) la décrit:
« Sur un massif de maçonnerie destiné à empêcher l’accès du rucher à certains animaux nuisibles, sont placées l’une au-dessus de l’autre trois ruches cylindriques, fermées à leur partie postérieure en forme de demi-sphères. Un homme debout présente devant les ouvertures des ruches, une coupe remplie de matières enflammées, pendant qu’un autre agenouillé, recueille à la main, sans l’aide d’aucun instrument, les gâteaux de miel qu’il dépose dans des écuelles; ces gâteaux sont de forme irrégulière et de petite taille; quant aux ruches, on peut estimer leurs dimensions, en tenant compte de la taille des deux hommes, à 0 m,60 de long sur 0 m,40 de diamètre environ.
« D’autres personnages sont occupés à mettre le miel dans de grandes jarres, et peut-être, tout d’abord, à le faire égoutter pour le séparer de la cire. »
Sur une paroi du Temple du Soleil, à Abousir (Ve dynastie, vers 2500 ans avant J.-C.) était sculptée une scène analogue, malheureusement mutilée (Borchardt, dans Zeitschrift für Ägypt. Sprache, 38, pl. v et p. 98). Là, le rucher comprend six ruches superposées, un homme est agenouillé par devant; plus loin des serviteurs sont occupés à remplir des vases de miel et à les sceller. C’est le document le plus ancien que nous ayons relatif à cette question.
Le miel entrait dans la composition de la pâtisserie: à l’extrémité gauche de la scène du tombeau de Rekhmara, précédemment décrite, on voit des pâtissiers qui tirent d’un large vase à 4 anses, du miel destiné à la pâte de leurs gâteaux. De leur côté, les vignerons mêlaient du miel au vin.
On s’en servait aussi en pharmacie. Le célèbre papyrus médical Ebers en fait plusieurs fois mention : ainsi le composé bizarre d’un pansement pour une plaie à la jambe, consistant en cervelle de silure trempée dans du miel (Ebers, 30), ou de cet ingrédient (employé pour guérir le tremblement de la tête) : du natron broyé dans de l’huile, du miel et de la cire (Ebers, 48).
Le miel était utilisé dans la fabrication des parfums et des onguents que préparaient les laboratoires des temples. Plutarque raconte qu’il formait l’une des seize substances qui composaient le « kyphi » (de Iside et Osiride, 80). Au Rituel de Mout (vi, 1-2) se lit une formule consacrée au « parfum de fête sous forme de miel » qui débute par cette invocation: « Ah ! Amon-Ra, Seigneur de Karnok, prends pour toi le miel, l’œil d’Horus... » Ce parfum de fête, mêlé de fard, servait à embellir la statue divine, à lui donner de la couleur et du luisant. On voit à Abydos, à Edfox, dans d’autres temples encore le roi en personne oignant la statue de culte de cet onguent au miel (Moret, Rituel du culte divin en Égypte, p. 70-73).
A certaines fêtes, on consommait rituellement du miel. C’est ainsi qu’à la fête de Thot « on mangeait du miel et des figues en disant : Douce est la vérité » (Plutarque, de Iside et Osiride, 68). Certain jour férié s’appelait même: « La fête de la vallée où l’on mange du miel » (J. de Rouge, Edfou, pl. xii).
Parmi les divers usages de la cire mentionnons celui qu’en faisaient les magiciens : figures d’envoûtement, confection de statuettes qui ensuite prenaient vie. On moulait également en cire des masques de momies et nombre d’objets servant de phylactères [Toute cette documentation nous a été obligeamment communiquée par M. Gustave Lefebvre, membre de l’Institut].
L’un des plus anciens auteurs qui nous aient laissé des documents relatifs aux abeilles est l’un des plus grands savants de l’Antiquité, ARISTOTE. Cet auteur écrivait en grec; or, les hellénistes qui nous en ont donné une traduction n’étaient pas des naturalistes, et ils ont souvent commis des fautes de traduction ou des erreurs qui ne sont pas imputables à Aristote. Il s’est trouvé, après de nombreux siècles, que le fils d’un éminent helléniste était en même temps un naturaliste, et nous avons eu la traduction de d’Arcy Wentworth Thompson en anglais. C’est dans ce texte que nous avons pris les passages que nous citons. Il se trouve encore que cet auteur, qui était un excellent naturaliste, ne connaissait pas les abeilles d’une manière approfondie, aussi avons-nous été amené à redresser des erreurs de traduction ou tout au moins à mieux comprendre ce qu’Aristote voulait dire. Il n’est pas dans le cadre de cet ouvrage d’entreprendre une étude littéraire de ces textes; nous serons donc relativement bref, en dégageant uniquement ce qui nous a paru pouvoir intéresser les amateurs d’abeilles. Dans l’ « Historia animalium », les différents passages et les chapitres consacrés aux abeilles nous apparaissent comme une série de notes prises au cours de conversations avec les apiculteurs praticiens de l’époque. Aristote devait certainement par la suite rédiger ces simples notes pour dégager les opinions contradictoires des uns et des autres. Le temps lui a manqué. Il se contente de dire: les uns affirment que, d’autres disent que, sans prendre parti lui-même.
Voici quelques connaissances relatives à la reine: « Il y a deux sortes de gouverneurs; la meilleure espèce est de couleur rouge, l’espèce inférieure est noire et bigarrée. » Il s’agit ici des reines fécondées et des reines stériles ou vierges; les premières ont un développement considérable de la taille et la couleur indiquée. Les autres, au contraire, restent plus petites et de couleur sombre. Il s’agit peut-être aussi de la race jaune que l’on désigne sous le nom d’abeilles italiennes et qui sont de beaucoup les meilleures. « Le gouverneur est le double de la grosseur des abeilles. » Cette observation est rigoureusement exacte; le terme de gouverneur indique bien que les Anciens se rendaient compte de l’importance de la reine dans la conduite de la ruche, puisqu’une colonie qui ne possède plus de reine n’est plus gouvernée. « Ces gouverneurs ont l’abdomen ou partie au-dessous de la taille, une lois et demie plus large et sont appelés, par quelques-uns les mères, d’une idée qu’elles portent et engendrent les abeilles; et comme preuve de celle théorie de leur maternité, ils déclarent que le couvain des bourdons apparaît également quand il n’y a pas de gouverneur dans la ruche, mais que les abeilles n’apparaissent pas en son absence.» La taille de la reine est bien indiquée; sur son rôle de mère les opinions émises sont très intéressantes. Il devait être réservé à Swammerdam de disséquer une reine-abeille et de découvrir les œufs. L’observation de mâles dans les ruches dépourvues de gouverneurs est exacte; ce sont les abeilles dites bourdonneuses qui pondent des œufs parthénogénétiques non fécondés. C’est Dzierzon qui devait mettre au point ce comportement des abeilles.
« D’autres encore assurent que ces insectes s’accouplent et que les bourdons sont des mâles et les abeilles des femelles. »
Ces deux faits devaient être établis, en 1789, par François Huber de Genève, quand il découvrit le « vol nuptial » et les ovaires atrophiés des abeilles-ouvrières qui démontraient d’une manière indiscutable le sexe de cette caste d’individus.
« Les gouverneurs sont munis d’aiguillon, mais ne s’en servent jamais; et celle dernière circonstance démentira certaines personnes qui croient qu’ils n’ont pas du tout d’aiguillon. » Nous savons maintenant avec certitude, par la dissection, que la reine-abeille possède un aiguillon, que cet aiguillon joue un rôle considérable dans l’oviposition des œufs et qu’il peut même piquer dans certaines circonstances, comme nous le relaterons dans le chapitre sur la physiologie de la reine-abeille.
« Plusieurs affirment que les abeilles ne s’accouplent pas et ne donnent pas naissance à des jeunes, mais qu’elles vont chercher leurs jeunes; d’autres déclarent qu’elles cherchent le couvain des bourdons dans les fleurs, mais que les abeilles-ouvrières sont engendrées par les gouverneurs de la ruche. » Toutes ces opinions essaient d’expliquer les faits observés: en l’absence de reine, les abeilles-ouvrières pondent des œufs donnant naissance à des mâles, il est naturel de penser qu’elles vont les chercher en dehors de la ruche, puisque l’on ne sait pas qu’elles peuvent pondre; par ailleurs le fait que les abeilles-ouvrières ne sont jamais engendrées en dehors de la présence de la reine prouve qu’elles ne peuvent être engendrées que par la reine.
« L’abeille ordinaire est engendrée dans les cellules des rayons, mais les abeilles-gouverneurs dans les cellules en bas et au-dessous, attachées au rayon, s’y suspendant, à part des autres cellules, au nombre de 6 ou 7, et croissent d’une manière tout à fait différente de celle du couvain ordinaire. » Cette observation est rigoureusement exacte.
« On a établi qu’il y avait deux sortes de ces rois. Il y a plus d’un roi dans chaque ruche; et une ruche va à la ruine si elle a trop peu de rois, non à cause de l’anarchie qui s’ensuit, mais, comme nous le disions, parce que ces créatures contribuent d’une façon quelconque à la génération des abeilles communes. De même, la ruche ira à la ruine si elle possède un trop grand nombre de rois; car il faudrait subdiviser les membres de la ruche en trop de factions séparées. » C’est pour s’assurer de l’existence d’une ou plusieurs reines, que Réaumur a entrepris toute sa belle série d’expériences, en baignant les ruches et en examinant les abeilles les unes après les autres. En France, il n’arrive pas que les ruches puissent périr par un trop grand nombre de « rois », mais le fait est très constant en Tunisie. C’est même la manière et la cause la plus habituelle de disparition des colonies. Nous avons compté à plusieurs reprises jusqu’à 100, 200 et même une fois 250 cellules royales dans une seule colonie.
« L’œuf du roi est de couleur rougeâtre, et sa substance est environ aussi consistante que le miel épais; il est aussi gros que l’abeille qu’il produit. On dit que pour les petits du roi, il n’y a pas de phase intermédiaire du ver, mais que l’abeille vient de suite. » Tout ce passage est complètement faux. La substance rougeâtre dont parle Aristote est probablement de la gelée royale desséchée.
« Les abeilles construisent toujours des cellules pour elles-mêmes et pour les rois seulement quand le couvain de jeunes est nombreux. » Cette vue est particulièrement exacte, comme nous le verrons par la suite.
« On dit que le roi est incapable de voler, il est porté par l’essaim, et que s’il meurt, l’essaim périt, et que si l’essaim survit au roi pendant quelque temps et construit des rayons, il ne produit pas de miel et bientôt les abeilles meurent. »
« Les rois ne sont jamais vus en dehors de la ruche, excepté avec les essaims en vol, durant lequel les autres abeilles se pelotonnent autour d’eux. »
« Si un petit essaim arrive à s’établir près d’un gros, il changera de place pour se joindre au gros, et si le roi qu’elles ont abandonné les suit, elles le mettent à mort... »
Nous pourrions multiplier les observations rapportées par Aristote, faisant une enquête près des apiculteurs de son temps. Beaucoup d’erreurs entachent l’apiculture, et il devait être bien difficile de faire accorder des notions aussi contradictoires.
Nous pensons que ces quelques citations permettront au lecteur de mieux comprendre les principes apicoles que nous donnons dans ce livre, et qu’il saura s’en servir par une critique sévère, et de nouvelles expériences, pour le développement de la science des abeilles.
Nous donnons maintenant une partie de l’article « miel », publié dans le « Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines » chez Hachette, Paris, 1904.
Quoique les Anciens aient connu la canne à sucre (saccharum), le miel a joué, dans leur alimentation, le même rôle que le sucre dans la nôtre; il a eu chez eux, comme objet de commerce, une importance que nous ne pouvons nous figurer par l’usage que l’on en fait actuellement. C’est le miel qu’ils employaient uniquement pour la pâtisserie, la confiserie, la pharmacie, pour la préparation des vins doux et autres friandises de dessert. Ainsi s’explique en particulier que Virgile, dans les Géorgiques, ait consacré à l’apiculture un chant sur quatre: un rucher pouvait rapporter autant qu’un vignoble. Virgile, du reste, a résumé les connaissances et les préceptes exposés dans une longue suite d’ouvrages techniques que nous avons perdus pour la plupart. Sans parler ici des poètes qui ont célébré la douceur du miel, sa pureté, son arôme, ni des naturalistes qui, depuis Aristote jusqu’à Pline, ont décrit à un point de vue scientifique les mœurs des abeilles, il convient de rappeler qu’un grand nombre d’écrivains, préoccupés surtout des intérêts d’une industrie fructueuse, avaient condensé pour les apiculteurs les leçons de l’expérience. Ceux-là, c’étaient d’abord ceux qui ont traité de l’agriculture, entre autres Magon le Carthaginois, etc...
Les Ruches. — 1° La ruche d’écorce ou de liège. — Elle avait, aux yeux des apiculteurs, le grand avantage de n’être ni trop froide en hiver, ni trop chaude en été. On l’emploie encore en Afrique, dans la province de Constantine; l’écorce est roulée en forme de tronc de cône, assujettie avec un lien d’osier, et un bouchon de bois ferme l’orifice supérieur.
2° La ruche de terre cuite (fictilis). — Les agronomes n’en étaient point partisan. « C’est, dit Columelle, la pire de toutes, parce qu’elle ne préserve les abeilles ni du froid, ni de la chaleur. » On a récemment signalé des ruches de ce genre dans la Haute-Égypte, où les indigènes n’ont jamais cessé d’en fabriquer depuis les temps antiques. Ce sont des tuyaux de terre cuite longs de près d’un mètre et larges de 0 m, 20 ; on les bouche aux deux extrémités avec de la terre pétrie, et, dans l’une, des extrémités, on perce des trous pour laisser passer les abeilles. Puis on empile ces tuyaux les uns sur les autres horizontalement. Il est clair que ce type a disparu partout ailleurs; c’est à cause du grave défaut constaté par Columelle.
Transport des ruches. — Dans certains pays, on estimait que les abeilles avaient épuisé à la fin du printemps toutes les fleurs disponibles et qu’il fallait les transporter en d’autres lieux, plus favorisés de la nature. On enlevait donc les ruches pendant la nuit et on allait les installer ailleurs; l’Achaïe envoyait les siennes dans l’Attique et en Eubée; à Scyros, on rassemblait celles des Cyclades, etc...
La récolte. — On châtrait (castrare) les ruches en général deux fois l’an. Cette opération était appelée tantôt une moisson (messis), tantôt une vendange (vindemia).
Pays producteurs. — Chypre et l’Afrique produisaient une quantité considérable de miel...
Droit. — Non seulement les ruches étaient exposées aux manœuvres de voleurs, mais l’essaimage devait donner lieu à des contestations entre voisins. De là, dans le code, plusieurs dispositions destinées à régler la question de droit, si importante pour l’apiculture : « Les essaims d’abeilles étaient rangés en droit dans la même catégorie que les oiseaux; ils n’avaient vraiment un propriétaire que pendant qu’ils étaient enfermés dans une ruche; hors de la ruche et hors de la vue du propriétaire de la ruche, ils n’appartenaient à personne et le premier venu pouvait se les approprier. »
Une charte municipale, de provenance inconnue, défend d’établir les ruches sur un terrain public, le long d’une voie, par exemple.
Nous avons groupé dans ce chapitre quelques documents sur la vie des abeilles, un peu disparates certes, mais qui ne manqueront pas d’intéresser tous les apiculteurs. Les trois premiers récits nous ont été communiqués par un fin lettré de Tunis, le Docteur Gobert, que nous remercions vivement de son amabilité.
Les notes suivantes sont tirées de « Ritual and Belief in Morocco », de Westermarck. A la page 104 : « Il y a beaucoup de baraka dans l’abeille. Les Ouleds Ben Aziz disent qu’elle est un « fgir », un saint: elle est habile, elle sait tout, elle annonce le temps par ses différentes façons de bourdonner. Il faut toujours traiter les abeilles aimablement. Il y a un dicton selon lequel vous n’aurez d’abeilles que si vous les aimez, de même vous ne garderez de moutons que si vous les aimez. Quand une abeille vient à vous en hiver, par temps froid, vous devez la prendre sur votre main, la réchauffer de votre haleine, puis la laisser aller. Vous ne devez jamais tuer une abeille, même si elle vous pique. D’ailleurs elle en mourra. L’abeille dit un jour au Prophète: « Les gens mangent la nourriture de mes enfants, priez Dieu que si je pique quelqu’un, il me fasse mourir. » Elle dit ainsi par erreur; elle voulait dire: « Qu’il le fasse mourir. » Mais sa requête fut lancée... En fait, tuer une abeille ou au moins tuer 7 abeilles est aussi mal que tuer un homme; mieux, j’ai entendu dire que c’était aussi mal que tuer 7 hommes. Et comme il y a une bénédiction sur l’abeille, il y a aussi une bénédiction dans le miel. »
Dangers de cette baraka: page 222. « On cite un dicton: « Les maisons de filles et celles d’abeilles sont vides.» Cela signifie qu’une maison doit se vider si elle ne contient que des filles, qui l’abandonneront le jour de leur mariage et qu’aussi la maison d’une personne qui possède beaucoup d’abeilles restera vide, car elle perd ses pouvoirs sexuels en dérobant le miel des ruches... »
Page 229 : « Il n’est pas permis non plus à un Juif d’approcher des ruches... »
Page 230 : « Les femmes sont supposées nuire aux abeilles. Si une femme approchait leurs ruches, elles mourraient, ou bien les abeilles et la baraka laisseraient la place; et partout la récolte du miel est un travail d’hommes... »
Page 241 : « A cause des impuretés du sol, les chaussures avec lesquelles on a marché sont souillées et doivent être retirées lorsque l’on va prier... il faut les retirer aussi lorsqu’on s’approche des ruches... »
Page 253 : « On ne parle pas quand on vient récolter le miel. »
Page 444: « On brûle de la bouse de vache devant les ruches pour en écarter le mauvais œil... »
Page 294 : « A la mi-été, les abeilles sont enfumées à la bouse de vache, de façon à ce qu’elles produisent beaucoup de miel, qu’elles ne subissent aucun mal du fait du mauvais œil, ni détruites par le tonnerre... »
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Voici encore une série de notes tirées de « La civilisation caucasienne » d’Arthur Byhan, traduit par G. Montandon, Paris 1936.
Page 56 (sur la Géorgie) : « C’est surtout en Irénésie et en Gourie qu’on s’adonne à l’élevage des abeilles; on se sert de caissons (ska) ou de billots (kodi), troncs d’arbres évidés avec une encoche comme trou de sortie. Le miel des abeilles sauvages qui vivent dans les arbres creux ou dans les fentes des rochers, est plus aromatique, plus clair et moins gluant que celui des abeilles domestiques. »
Page 65: « Les chandelles de cire... sont faites de cire amollie, pétrie et moulée autour de la mèche. Les rayons de miel vides dont on obtient la cire sont cuits dans une chaudière avec un peu d’eau; on en puise la cire, on la fond encore une fois dans la chaudière et on la verse dans un bassin de cuivre ou de laiton. »
Page 146 (sur les Tcherkess) : « Ici comme en Abkhazie, on élève beaucoup d’abeilles. Les ruches ressemblent aux nôtres; elles sont découpées dans l’écorce de tilleul ou de frêne avec des ramilles d’osier et enduites de bouse de vache. On dispose par dessus, pour les protéger de la pluie, un tressage épais de chaume. Les essaims qui s’envolent sont capturés avec un chapeau d’écorce tenu au bout d’une perche. Les ruches sont disposées dans les forêts des basses montagnes, en juillet et en août, aux autres époques dans le voisinage des villages. »
On remarquera dans tous ces passages, l’utilisation de la bouse de vache pour calfater les ruches d’osier tressé. Cette pratique se retrouve avec une généralité extraordinaire dans toutes les régions où l’on élève des abeilles, aussi bien en Bretagne que dans les Landes en France, dans tous les pays d’Afrique du Nord et toutes les régions tropicales, Soudan, Guinée française. La bouse de vache est un des matériaux qui a certainement été le plus utilisé par l’Homme depuis les époques les plus reculées de son histoire.
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Le récit que nous donnons maintenant est tiré de « Jungles memories », Times of Ceylon, Christmas number, 1936 (sans pagination) de Philip Fowke.
« ...C’était un lieu charmant, le soleil filtrant à travers les arbres de la forêt illuminait de taches brillantes les eaux sombres qui cachaient les grandes truites arc-en-ciel, et au-dessus de la surface tachée de bulles — tantôt éteintes, tantôt manifestant leurs beautés irradiantes — passaient ces bijoux des torrents des montagnes de Ceylan, les libellules (dragonflies).
« Posé sur un roc au milieu d’une anse tranquille de la rivière, je pêchais dans le silence de ce matin parfait, et, quoique le monde autour de moi fût calme et pacifique, les ailes de la mort — mais je n’en savais rien — planaient en permanence sur ma tête.
« Elles prirent la forme d’un grand oiseau qui glissa au-dessus de la cascade et vint se percher sur un arbre en aval du lieu où je pêchais. Il ressemblait de si près au snake eagle (aigle serpentaire) qui hante ces forêts, que je tirai ma ligne. L’oiseau, d’ordinaire si timide, semblait m’observer avec attention et je me demandais, intrigué, quelles pouvaient bien être ses intentions. Je l’appris bientôt.
« Abandonnant la branche où il était perché, l’oiseau, d’un trait, gagna l’arbre au-dessus de moi et, levant les yeux, je vis juste au-dessus de ma tête un immense rayon de ces terribles abeilles de rochers. Au même instant, ce satané honey-buzzard (buse à miel), car tel il était, frappa le rayon d’un coup sonore de ses ailes, balayant les abeilles par milliers, et comme il enfonçait ses serres dans le rayon, en arrachant un large lambeau, les insectes furieux tombaient en averse sur moi.
« Naturellement, j’étais l’agresseur accusé, mais vous ne pouvez pas discuter avec des abeilles pleines de ressentiment. Dans la jungle, on tombe souvent au milieu de ces pestes et je n’avais pas d’illusion sur le danger qui, par ce paisible matin, venait de fondre sur moi. Plonger eût été entièrement illusoire, car l’essaim eût simplement survolé l’eau des heures durant, piquant ma tête chaque fois qu’elle eût été aperçue à la surface. Abandonnant ma ligne donc, je me glissai sous le couvert forestier qui borde la rivière, criant pour alerter mon ami. Une petite île herbeuse se trouvait à quelque distance en amont et, ramassant branches et feuilles sèches, nous tentâmes de les allumer, la fumée nous apparaissant comme unique chance de salut.
« A cet instant, le garde-pêche et notre coolie-cuisinier firent précisément leur apparition et, parmi le bruit des assiettes cassées et les cris des autres coolies, nous nous trouvâmes tous quatre impliqués dans la plus sale des aventures. Toute la forêt bourdonnait d’abeilles furieuses et sauvages et, comme le feu refusait de prendre, nous ne pouvions lui donner qu’une attention distraite, nous n’eûmes plus d’autre alternative que de fuir plus loin. Grimpant à travers la jungle, nous débouchâmes parmi les herbages, et une course inconfortable de deux milles nous amena à un petit bungalow. Même alors, ce ne fut que lorsque nous eûmes fermé portes et fenêtres et pûmes observer les pestes furieuses frappant en vain les vitres que nous nous sentîmes saufs.
« Les coolies, avec le curieux fatalisme de l’Orient, restèrent près de la rivière et furent sévèrement piqués.
« Ces abeilles de rochers abondent dans tout Ceylan et peuvent être un réel danger, car si leur gâteau de miel est détruit, ou même si quelques insectes sont écrasés, une attaque immédiate et persistante est inévitable. Au contraire des grandes guêpes, qui se contentent de vous éloigner de leur nid et retournent réparer le dommage, les Bumbara bees vous poursuivent pendant des milles.
« Un curieux penchant qu’elles possèdent est leur inclinaison à se reposer sur un animal en sueur. Un cheval dans cette condition attire l’attention d’un essaim, et, quoique les abeilles semblent n’être attirées que par la sueur, à l’instant où le cheval se roule pour tenter de se libérer, il est attaqué avec toute la furie de ces pestes forestières.
« Dans les cas de ce genre, un cheval, comme un chien simplement se roule et crie, et la mort suit généralement.
« En plus du honey-busard, la guêpe (hornet) cherche sa proie sur les longs gâteaux de miel pendants, mais sa nourriture est l’abeille elle-même. »
Il est intéressant de noter ici la puissance des réflexes de défense chez ces abeilles sauvages, nous les retrouverons à un degré moindre chez les abeilles de Guinée, mais incomparablement supérieurs à ceux de nos abeilles domestiques.
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