Publié en français dans
La Belgique Apicole, 17(7) 1953, p168-172, avec leur permission. Original in the Bee World, 32(1) 49-52, (2) 57-62. |
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par le Frère ADAM, O.S.B. Abbaye St Mary, Buckfast, South Devon - Angleterre. Traduction et adaptation française par Georges LEDENT Uccle, Belgique |
Nous rendant en Autriche, le 12 avril, nous rendîmes visite à Lindau, sur la rive est du lac de Constance, au Professeur Ludwig ARMBRUSTER, un des maîtres les plus éminents du monde, en apiculture. En son temps, il avait été directeur de lInstitut de Recherches apicoles de Berlin-Dalhem et éditeur de léminente « Archiv für Bienenkunde ». La retraite du Professeur ARMBRUSTER, à Lindau, résulte du « non » quen homme de haute conscience et en défenseur intégral de la Vérité, il avait opposé à Hitler en 1933.
Quand nous disons « maîtres », nous considérons ces hommes, relativement peu nombreux en apiculture qui, dépassant les hommes de science dont les contributions et découvertes ont sans doute fait avancer la connaissance de la culture de labeille dans la sphère plus ou moins restreinte de leurs recherches, ont eu le don dembrasser les fondements mêmes de lapiculture. Ces hommes, grâce à leur vaste vision et à leur jugement, sont capables de tracer une route nette au travers du dédale des considérations purement théoriques, des préjugés, voire des déserts de lapiculture pseudo-scientifique. Sur le plan strictement pratique de lapiculture commerciale, je considère E.W. ALEXANDER, de Delanson, U.S.A. et R.F. HOLTERMAN, de Brantford, Canada, comme les maîtres nous ayant fourni les informations les plus précieuses. Du point de vue scientifique et théorique surtout en tout ce qui touche lhérédité et lapplication des lois de MENDEL à lélevage de labeille ce sont les travaux du Prof. ARMBRUSTER qui ont été notre guide et notre inspiration la plus précieuse.
Son « Bienenzüchtungskunde », parue en 1919, fut notre guide dans lélaboration de notre lignée. Son but était identique au nôtre : arriver à une lignée à rendement maximum pour un minimum de peine.
Il affirme, comme nous, que seul le croisement y mène, par le fait de combiner dans une seule lignée, autant que faire se peut, les caractères désirables des différentes races. Jamais la nature namènera une telle combinaison : il faut lintervention directe de lhomme. Nous nous rendons parfaitement compte que ces vues et doctrines vont absolument à lencontre des enseignements qui ont cours sur le Continent de façon fort répandue.
Le Prof. ARMBRUSTER, que nous navions encore jamais rencontré, soffrit immédiatement à nous aider en toute manière et les quatre fois que nous allâmes le trouver lan passé, nous lavons chaque fois quitté nanti dune masse de renseignements. Plus tard, à notre retour dAutriche, il se fit notre guide dans la région avoisinant Lindau, dite lAlgèu. Cette région dAllemagne méridionale rappelle à beaucoup dégards le South Devon : climat, régime des pluies, flore. Le pissenlit, qui y transformait les prés en tapis doré au moment de notre visite, y est une source de nectar souvent prodigieuse. On a relevé un gain net de 7,5 kilos en un jour, performance étonnante vu lextrême précocité de la saison.
A cette occasion, nous avons visité une des entreprises apicoles commerciales les plus remarquables dAllemagne, la Firme Mack, à Illertissen : 1000 colonies et apiculture pastorale intensive.
Successivement, les colonies sont transportées dans les régions abondant en fruits, pissenlit, framboise, sainfoin, trèfle blanc et bruyère. Les forêts de pins, tout près, fournissent aussi une riche récolte de ce miel plus apprécié que celui dorigine florale. Toutes les ruches sont à parois simples, le nid à couvain contenant dix cadres dune dimension voisine de celle du standard anglais. A la fin de la saison, toutes les ruches sont ramenées et hivernées en abris spécialement construits à cette fin. Ce système combine donc les avantages de lapiculture de plein air en saison active et de lhivernage en sécurité dans un pavillon. Il fut un temps à Illertissen où toutes les races et lignées européennes étaient, côte à côte essayées en vue de la production de miel. Finalement cest une lignée donnée de Carnica qui fut retenue à lexclusion de toute autre. La firme entretient un rucher disolement dans les Alpes bavaroises, pour y garder et assurer la pureté de cette race. Très certainement, cette affaire constitue lopération commerciale la plus avancée et la plus réussie en Europe Centrale. Et ce fut une révélation que de constater ce que lesprit dentreprise, dégagé de tradition et de préjugé, a pu réaliser dans un pays où le rendement moyen par colonie est si incroyablement bas.
A beaucoup dégards lapiculture en Allemagne reste une énigme. Pour autant quil sagisse de science apicole, lAllemagne tenait la première place jusquà la dernière guerre; cest un fait reconnu par les gens de science du monde entier. Mais en fait dapiculture pratique, elle traînait en queue derrière la plupart des pays civilisés à en juger au rendement. Celui-ci tourne autour de 4 kg de miel récolté par colonie annuellement. Je ne puis me mettre en tête que la rareté de la flore nectarifère soit seule cause de cette médiocrité. Labeille indigène doit, dans quelque mesure, en être en partie responsable. Labeille brune dEurope Centrale est actuellement en voie dextinction. Les lignées qui restent, sil en subsiste, sont très rares. La Carnica a supplanté labeille cultivée jusquà il y a peu. Ce changement a été imposé par de pures nécessités économiques : cest un pas dans la bonne direction, mais ce nest quun premier pas. La culture de labeille est malheureusement empêtrée de tradition et de préjugé en Allemagne, et il lui manque une vision claire et des horizons vastes. Des considérations purement théoriques ont complètement obnubilé les considérations pratiques. Un regard sur un catalogue allemand de matériel fera voir immédiatement un tas effarouchant dobjets et de dispositifs sans parler de la quantité de ruches différentes et de cadres de dimensions diverses. Il devient évident que les efforts les plus méritoires en vue de produire du miel seront vains dans ces conditions. La perfection en apiculture ne se trouve pas dans la multiplicité des engins, mais dans la simplicité et dans lélimination le tout ce qui nest pas absolument essentiel.
Notre premier soin en Allemagne a été détudier en détail lélevage des reines tel quon le pratique dans ce pays. Rappelons quen dehors des pays de langue allemande, ce nest que très récemment que les journaux de nos pays se sont mis, sauf exception, à traiter de lélevage de races améliorées par le contrôle de la fécondation. Dautre part, des stations de fécondation ont fonctionné sur le Continent depuis plus dun demi-siècle. Le Dr U. KRAMER a commencé « Die Rassenzucht der schweizer Imker » (Lélevage de races des apiculteurs suisses) en 1898. Le Professeur E. ZANDER a repris le mouvement en Allemagne. Depuis, des scientifiques éminents tout comme des apiculteurs de ces deux pays se sont voués à ce problème. Aucun doute que durant ces cinquante années, des renseignements de haute valeur naient été recueillis. Quil est donc immensément regrettable que cette masse considérable dexpérience et denseignements ne soit pas à portée de la plupart des apiculteurs en dehors des pays de langue allemande. Nous avons considéré comme partie intégrante de notre tâche de rassembler tout ce que nous avons pu comme information. Le Dr BIRKLEIN, Président de l« Imkerbund » (Association des Apiculteurs), nous a rendu le signalé service de nous ménager une visite aux instituts principaux de recherches : Erlangen, Francfort, Marburg, Celle et Freiburg.
Erlangen, le plus connu, reçut notre première visite, le 16 octobre; Erlangen et ZANDER sont synonymes pour le monde apicole tout entier. Le Professeur ZANDER est à considérer comme le créateur de cet institut de recherche et comme le fondateur du mouvement en vue délever en Allemagne une abeille indigène améliorée. Selon lui, la Nigra possédait les meilleurs caractères quune abeille allemande représentative pût offrir. La Nigra varie de couleur, du noir comme jais au brun. ZANDER jeta son dévolu sur la noire jais. Les déceptions naillaient pas lui être épargnées. Il nen reste pas moins quErlangen continue à être à ce jour un des rares bastions de la « Nigra », hors de Suisse. Le Dr ZANDER sest retiré récemment, après près dun demi-siècle consacré à lapiculture. Le nouveau directeur est le Dr F.K. BOTTCHER, quassistent les Drs HIRSCHFELDER et OSTERHOLZER.
Avec le Dr BIRKLEIN, nous allâmes voir ensuite le Dr H. GONTARSKI, chef de linstitut de recherches apicoles annexé à lUniversité de Francfort. Bien connu pour ses travaux sur le Nosema, mais ayant en outre embrassé un vaste domaine de recherches, le Dr GONTARSKI poursuit courageusement ses études dans des conditions encore précaires pour le moment, les armées américaines ayant pris possession des laboratoires en 1945.
Puis ce fut le tour de Marburg. Le Dr DREHER, son directeur, a aussi la charge de lorganisme central du « Imkerbund » contrôlant lélevage. En cette matière, il possède de vastes connaissances théoriques et pratiques : ses opinions et ses articles sont dignes dattention. Linstitut élève chaque année un grand nombre de reines en vue daider les apiculteurs à sassurer une lignée pure.
A Celle, aux confins de la bruyère de Lunebourg (directeur, Dr E. WOHLGEMUT, avec le Dr J. EVENIUS comme adjoint), tous les efforts convergent, comme dans les autres instituts vers lamélioration de labeille. Pour assurer un contrôle absolu et la pureté de lignée, linstitut entretient une station de fécondation située dans une île de la Mer du Nord, face à la côte allemande.
Erlangen faisant exception, cest la Carnica que nous avons trouvée à la place dhonneur dans toutes les stations de recherches allemandes. A Celle, cependant, trois races sont maintenues en vue dexpériences comparatives : la Nigra et une lignée ditaliennes en sus de la Carnica . Pour sassurer de la valeur des comparaisons, il y a dans un rucher spécialement aménagé à cette fin, 23 colonies de chacune de ces races, soumises à des conditions identiques. Au cours des saisons 1948 et 1949, les moyennes relevées, provisions dhiver comprises, donnaient, exprimées en pour cent : Ligustica : 79,9 %; Nigra : 85,8 %; Carnica : 146,1 %. Les écarts sont très substantiels en valeur relative. Ce nest que par épreuves comparatives de ce genre, poursuivies durant plusieurs années sur une échelle considérable, quil devient possible de déterminer la valeur réelle dune race ou dune lignée. De fait, faute de telles épreuves, et de contre-épreuves constantes, lélevage des abeilles est un jeu de colin-maillard et aucun progrès nest en réalité possible.
Comme déjà dit, labeille indigène dEurope Centrale est en passe dêtre rapidement supplantée par la Carnica . A linstitut de Mayen (Eifel), maintenant fermé, le Dr GOETZE a travaillé sur une lignée indigène dite « Hessen ». Lorigine de cette lignée parait enveloppée dobscurité : certains de ses caractères nous rappelaient lancienne indigène anglaise. Mais même le Dr GOETZE est maintenant en faveur de la Carnica . Les lignées commerciales les plus connues de cette abeille le sont sous les dénominations suivantes : Peschetz, Sklenar et Troisek. Toutes trois jouissent dune faveur approximativement égale en Allemagne.
A la suite de presque un demi-siècle defforts incessants, déployés à améliorer labeille indigène, un changement complet sest opéré en faveur de la Carnica. La grande uvre entreprise par le Dr KRAMER, en 1898 nen en a pas pour la cause perdu son élan. Mais les résultats nets obtenus au cours de ces années ont fait naître des doutes, des hésitations, de lincertitude. Le système de sélection « Körsystem » mis en train sous lère nazie, paraît avoir sonné le glas pour labeille indigène allemande. Ce système était basé sur la supposition que certains caractères externes de labeille signalaient infailliblement ce quétait sa valeur en tant que productrice de miel. La sélection basée sur un assortiment prédéterminé de caractères externes, ne tenant pas compte denquêtes comparatives entre colonies, était nécessairement vouée à la faillite. Je ne crois pas cependant que seul le « Körsystem » soit responsable de la déchéance des lignées indigènes en Allemagne. Sur la foi de notre expérience, fondée sur vingt-six années daccouplements contrôlés, nous pensons que le plan doù partit le Dr KRAMER était établi sur une base trop étroite et sur un certain nombre de suppositions erronées.
On enseigne encore couramment sur le Continent quil importe de nutiliser, à aucun prix, pour lélevage, une reine dont la colonie aurait donné une récolte exceptionnelle. Ceci parce quon ne peut se fier à ce que ces reines transmettent cette exceptionnelle capacité de production de miel à leur descendance. Les colonies à récolte record sont dites « Blender » (éblouissantes dont le rendement rend aveugle); une performance de ce genre nest pas basée sur lhérédité mais seulement sur des circonstances fortuites. Si bien quune reine dune colonie de cette espèce, prise comme éleveuse, ne conduira quà léchec et au désappointement. Par contre, on accorde le plus haut prix à la performance médiocre ...
Il y a certainement un grain de vérité dans ces assertions : des récoltes exceptionnelles peuvent être purement accidentelles, ou peuvent résulter dun croisement dont aucun signe visible napparaît dans les caractères externes des abeilles. Néanmoins, cest un des axiomes en élevage, quand il sagit de matériel homozygote, que « pareil engendre pareil ». Mais la génétique moderne a montré que, dans le cas dorganismes se reproduisant sexuellement, il ny a pour ainsi dire pas de cas duniformité absolue. Une certaine variation va donc apparaître, que nous élevions sur ruche médiocre ou sur ruche exceptionnelle. Et cependant, par élimination constante de la performance exceptionnelle, un réel progrès en fait délevage est impossible. Pour faire de cette progression une certitude, il est de toute importance quil soit fait usage dune quantité de reines pour lélevage, chaque année, pour deux raisons : il nexiste pas de moyen davoir la certitude que, parmi un nombre donné de reines à performance également élevée, on puisse par avance déterminer celle qui savérera la meilleure éleveuse. Deuxièmement, quand on a recours à une quantité déleveuses, on est en mesure de faire subir des épreuves comparatives à leur progéniture, et le résultat effectif en déterminera la conclusion. Sans épreuves comparatives continuelles, lélevage de reines est un jeu sans espoir.
Cette vérité sapplique tout aussi bien à la pratique consistant à se servir dune seule colonie à mâles par station délevage, comme recommandé sur le Continent. Ici, même incertitude sur le point de savoir quelle colonie ou quelle reine donnera les meilleurs mâles. Si une erreur est commise dans ce choix, le dommage en résultant est irréparable. Aussi entretenons-nous trois ou quatre colonies à notre rucher disolement. Il faut nécessairement que les reines à la tête de ces colonies soient surs, des surs choisies, le cas échéant, entre les reines de cent ou de deux cents colonies. Les quatre reines surs ne sont probablement jamais absolument identiques génétiquement. Par suite, dans la descendance femelle des quatre lots de mâles, une variation plus accentuée et une sélection plus marquée sont assurées. En outre, comme quatre fois plus de mâles prennent lair, une fécondation plus certaine et plus rapide va intervenir que sil en allait autrement.
La valeur des stations de fécondation, telle quon les conduit en Autriche, Allemagne et Suisse, est actuellement mise en doute par beaucoup des autorités les plus en vue du Continent. Après cinquante années defforts incessants, une décadence des lignées sest produite au lieu dune amélioration. Je suis davis que les suggestions que jai émises amèneront la solution de certains des problèmes qui ont défié ces années defforts. Il peut paraître présomptueux de ma part davancer ces suggestions. Cependant, nous avons passé par toute la séquelle de difficultés que comporte la conduite dun rucher disolement, et nous sommes en mesure denregistrer un progrès, bien que nos méthodes divergent totalement de celles appliquées sur le Continent.
Des fautes ont été commises sur le Continent, dans lélevage contrôlé des abeilles. Elles ont coûté fort cher. Cela nempêche quun vaste fond dexpérience pratique et de connaissances de valeur inestimable, a été accumulé. Le reste du monde fera bien de venir y puiser.
Nous étions au bout de notre tâche le 26 octobre. Le lendemain matin, nous quittions Baden-Baden sous une neige intermittente. La température était tombée aux environs de zéro : lhiver était arrivé durant la nuit. Nous avions terminé la première partie de notre enquête sans avoir eu un jour de trop.
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La Belgique Apicole, 17(7) 1953, p168-172, avec leur permission. Original in the Bee World, 32(1) 49-52, (2) 57-62. |
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par le Frère ADAM, O.S.B. Abbaye St Mary, Buckfast, South Devon Angleterre. Traduction et adaptation française par Georges LEDENT Bruxelles, Belgique |