Publié en français dans
La Belgique Apicole, 17(3) 1953, p38-41, avec leur permission. Original in the Bee World, 32(1) 49-52, (2) 57-62. |
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par le Frère ADAM, O.S.B. Abbaye St Mary, Buckfast, South Devon - Angleterre. Traduction et adaptation française par Georges LEDENT Uccle, Belgique |
Nos déplacements de l’an passé ne nous ont pas amené moins de trois fois en Suisse. A la première visite, au début d’avril, il était clairement trop tôt. Une grande partie du pays était sous la neige. Ainsi, en arrivant à Berne, dirigeâmes-nous nos pas vers cette Mecque de la recherche apicole, l’Institut Liebefeld. Hélas, le Dr MORGENTHALER était absent. Le Dr MAURIZIO nous présenta ses collaborateurs, MM. FYC, SCHNEIDER et BRUCCER, puis nous exposa en détail ses propres travaux sur l’analyse des pollens où elle est passée maître. Nous goûtames pour la première fois du miel d’Alpenrose, cette espèce naine de rhododendron qui ne pousse qu’à grande altitude dans les régions non calcareuses des Alpes, à notre sens le miel le plus « délicieux » produit sur le Continent.
Au laboratoire de MM. SCHNEIDER et BRUCCER, discussion sur les multiples problèmes touchant l’acariose et sur les travaux de recherches à Liebefeld. L’acariose gagne du terrain sur le Continent. En Suisse, de grands efforts sont faits pour combattre le péril : dans les contrées infectées le déplacement des ruches est empêché et là où l’acariose est décelée, toutes les colonies de la région sont obligatoirement soumises au traitement. Les mesures, on l’espère, auront raison du mal et les pertes seront réduites au minimum. Par malheur l’acariose étend ses tentacules toujours davantage dans les pays entourant la Suisse. Pour l’instant, tout au moins, la maladie n’a pas encore, sur le Continent, atteint ce sommet de virulence auquel nous l’avions vu arriver ici en Angleterre.
Tout modeste qu’il est, timide et ne se fiant pas à ses capacités de zoologiste de tout premier plan, W. FYC n’en a pas moins une autorité incontestée pour tout ce qui regarde la structure et les conditions pathologiques affectant les organes reproducteurs de la reine. Sauf erreur, il est le seul savant au monde à s’être confiné exclusivement à cet objet et sa contribution à nos connaissances de l’anatomie, de la physiologie et de la pathologie de la reine est inestimable. Nos discussions ont confirmé que sur nombre de sujets controversés, nos vues respectives concordaient.
Nous avions promis au Dr MORGENTHALER, qui nous avait invité à la Züchterkonferenz (réunion d’éleveurs) de Rosemberg, à laquelle notre visite en Carinthie nous empêcha d’aller, de revenir à Berne. Le 15 mai, nous y étions de nouveau. A cette visite, notre tâche principale consista en l’étude des lignées distinctives de l’abeille indigène qui ont été développées en Suisse ces derniers cinquante ans. Le second jour, notre groupe, composé du Dr MORGENTHALER et de M. LEHMANN s’augmentait du Dr HUNKELER, Chef de l’élevage de la race. Des nombreuses lignées dérivées de l’abeille indigène commune suisse, il est admis généralement que chacune personnifie certaines caractéristiques particulières ou quelque adaptation spécifique au milieu propre à son lieu d’origine.
On considère que l’adaptation maximum à celui-ci donnera les meilleurs résultats. Sans entrer dans le détail de chacune, retenons celle qui, réellement remarquable, mérite une mention spéciale : la Nigra.
Cette lignée, proprement Suisse, fut obtenue, il y a une cinquantaine d’années par M. KREYENBUHL. Quelques années avant la dernière guerre, elle était encore très répandue en Europe Centrale. Sa popularité a baissé en Allemagne ces derniers dix ans et d’autres lignées s’y sont substituées. Il est probable qu’un élevage défectueux et trop d’attention accordée à ses caractéristiques externes ont amené sa dégénérescence en Allemagne. L’essai à fond que nous en avons fait dans nos ruchers nous a fait grande impression. Elle a des tas de qualités mais, malheureusement un sérieux défaut qui les dépare complètement : elle essaime excessivement, ce qui la rend sans valeur sous notre climat, en vue de l’apiculture commerciale. Comme son nom l’indique, elle est noire, pas brune, noire comme du jais. La couleur extraordinaire, la tendance inhabituelle à l’essaimage et divers autres traits de la Nigra me paraissent en indiquer l’affinité à l’abeille de bruyère allemande (Apis mellifera var. lehzeni).
A part l’objectif principal de notre travail en Suisse, nous avons acquis de première main une expérience des méthodes apicoles suisses et la technique de l’apiculture en pavillons. Un pavillon a certes ses avantages, mais ne se prête pas aux opérations et manipulations rapides qui sont le sine qua non de la pratique apicole suivant les méthodes les plus avancées. Les Suisses ont sans contredit acquis une adresse extraordinaire à manier des rayons, à les enlever, à les remplacer, grâce à l’usage de pinces spéciales. Néanmoins, toute considération de commodité mise à part, tenant compte de l’impossibilité physique d’exécuter toute opération et manipulation le plus vite et le plus efficacement, un pavillon semble avoir des inconvénients multiples dans bien des cas. La protection excessive, la chaleur exagérée durant l’été dans ces constructions en planches ne sont pas — suivant notre expérience — dans le sens d’un développement normal, naturel et sain des colonies. Et je suis en tout cas parti sur l’impression nette que, dans les pavillons que nous avons visités, les abeilles étaient tenues bien trop au chaud pour donner de bons résultats.
Il ne faudrait pas croire que les pavillons sont en usage à travers toute la Suisse. En Suisse française, les ruches sont disposées à l’extérieur, exactement comme ici en Angleterre. A l’extrême sud, pénétrant en Suisse par le col du Saint Bernard, en route vers la vallée du Rhône, nous avons noté un rucher sous abri ouvert, comme il est d’usage en Sicile, en Allemagne septentrionale et aussi dans certaines parties de la Carinthie.
Nous retournâmes une fois de plus à Berne, le 8 octobre. Cette fois, notre enquête nous amena dans le secteur extrême ouest de la Suisse, la région de Neuchâtel. La ruche Dadant est utilisée presque exclusivement dans toute la région de langue française de la Suisse. De fait, la ligne de démarcation linguistique semble constituer effectivement la ligne de séparation entre deux systèmes; totalement différents d’apiculture. Dans la partie parlant allemand, les pavillons sont d’usage général et le cadre a approximativement la surface du cadre standard anglais. Là où le français est parlé on voit partout la grande ruche Dadant.
L’organisation des apiculteurs de l’Association suisse allemande est la plus développée et, à beaucoup de points de vue, la plus avancée en son genre dans le monde. Son programme d’assurance contre les maladies des abeilles, son contrôle du miel, et, par dessus tout, l’amélioration systématique de l’abeille indigène par contrôle de la fécondation des reines — uvre entamée par le Docteur KRAMER en 1898 — comptent parmi ses plus remarquables réalisations. L’an passé, l’Association n’avait pas moins de 183 stations de fécondation en service.
En dépit des immenses résultats atteints, je ne pouvais me convaincre en mon for intérieur que, avec le type d’abeille utilisé et le système d’apiculture en vogue, le rendement maximum par colonie était effectivement obtenu en Suisse. Les arguments produits en faveur de l’abeille indigène et ce système d’apiculture me rappelaient les considérations et opinions qu’on faisait valoir, ici en Angleterre, il y a trente-cinq ans d’ici. Avec une extrême ténacité, certains de nos maîtres affirmaient alors que l’abeille indigène ancienne devait, ipso facto, être la meilleure pour notre climat. On faisait valoir, non sans quelque raison, qu’au cours des millénaires, la sélection naturelle aurait développé et modelé avec une infaillible certitude une abeille mieux adaptée que toute autre aux particularités de notre climat insulaire. Les dures leçons de ma propre expérience m’ont appris combien cette argumentation devait se révéler fallacieuse. En apiculture, on s’égare si facilement sur de fausses pistes, avec cette difficulté en plus qu’on ne s’aperçoit pas que de faux points de vue théoriques mènent inéluctablement à un cul-de-sac. Au cours de nos voyages sur le Continent, combien de fois, involontairement, nous a été rappelé le souvenir de raisonnements erronés de ce genre, avec les conséquences qu’ils entraînent. Si les abeilles se développent mal au printemps ou qu’en quelque point, elles ne réussissent pas à un moment quelconque de la saison, il est tellement facile — trop facile, en fait — de croire avec la plus absolue conviction que le temps est en cause ou que, pour telle raison inexplicable, les fleurs n’ont pas sécrété ou, tout au moins, n’ont pas sécrété aussi bien qu’elles auraient dû le faire. En Amérique, l’apiculture est exagérément dominée par des considérations purement commerciales et pratiques. Inversement, en Europe Centrale, des points de vues abstraits et théoriques tendent à étouffer tous les aspects pratiques de l’apiculture. Avantages et inconvénients théoriques, soumis à l’épreuve rigoureuse de l’apiculture pratique, se révèlent trop souvent illusoires.
publié en français dans
La Belgique Apicole, 17(3) 1953, p38-41, avec leur permission. Original in the Bee World, 32(1) 49-52, (2) 57-62. |
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par le Frère ADAM, O.S.B. Abbaye St Mary, Buckfast, South Devon — Angleterre. Traduction et adaptation française par Georges LEDENT Bruxelles, Belgique |