publié en français
par Payot, Paris, 1951. épuisé. |
par le Docteur Maurice MATHIS de l'Institut Pasteur de Tunis |
En 1940, alors que nous visitions le Vivarium, M. le Professeur Chopard qui le dirige avec une rare compétence nous exprimait le désir de posséder dans une de ses vitrines dexposition une colonie dabeilles vivantes et travaillant en quelque sorte sous les yeux du public. Jusque-là, aucun apiculteur navait consenti à exécuter ce projet, alléguant quun essaim dabeilles refuserait dutiliser le tuyau de 2,50 m qui reliait la vitrine à lextérieur. Ayant une opinion contraire, basée sur lobservation de colonies dabeilles logées naturellement dans certains troncs darbres ou dans de vieilles cheminées, nous proposions dapporter un essaim dès le printemps suivant. Ce qui fut fait. Les abeilles découvrirent très rapidement le passage à lintérieur du tuyau et lutilisèrent sans la moindre répugnance ; lexpérience confirmait nos prévisions.
Le 23 mars, nous apportons au Vivarium les abeilles dune colonie de notre rucher de Saint-Fargeau (Seine-et-Marne) mise en essaim trois jours plus tôt. Cet essaim pèse exactement 1 kg, 200.
Dans la vitrine nous plaçons un tronc darbre avec deux branches pour donner lillusion de la nature. Sous une branche nous fixons une planchette horizontale et deux cadres Dadant-Blatt remplis de miel operculé et de pollen ; les deux cadres sont suffisamment éloignés pour permettre aux abeilles détablir entre eux un rayon de cire nouvelle. Cest ce quelles ne tardèrent pas à faire en quelques jours. La reine pondit dans ces cellules nouvelles, et jamais dans les vieux rayons.
Le volume de la vitrine est considérable : 100 cm × 70 cm × 45 cm = 315 litres.
On peut considérer que la colonie travaille en plein air, mais dans un air un peu réchauffé et ne subissant pas les variations nocturnes et diurnes ou les subissant dans de faibles proportions.
25 mars. — La population se réduit à 10 000 abeilles, un certain nombre mourant probablement de vieillesse. La colonie déploie une grosse activité, les apports de pollen sont considérables. De beaux gâteaux de cire sont construits pendant tout le mois suivant et un couvain magnifique est élevé.
25 avril. — Les premières abeilles commencent à naître depuis quelques jours ; quelques mâles apparaissent, correspondant à la première grande ponte parthénogénétique. La population est estimée à 20 000 abeilles.
25 mai. — Les mâles sont très nombreux, la population est denviron 40 000 abeilles.. On aperçoit quelques ébauches de cellules royales.
25 juin. — Lactivité de la colonie est énorme. Il y a près de 80 000 abeilles. De grands gâteaux remplis de couvain et de miel pendent sous la planchette et atteignent presque le sol ; ils ont près de 60 cm de hauteur.
15 juillet. — Six gâteaux représentant près de 60 000 cellules seffondrent sous le poids du miel accumulé. Il en résulte une agitation considérable pendant quelques jours ; les abeilles réparent les dégâts remontant le miel qui sest écoulé. A partir de cette date, elles ne construisent plus de nouvelles cellules. La grande miellée des tilleuls est terminée.
25 juillet. — La population se stabilise aux environs de 100 000 abeilles.
Septembre-octobre-novembre. — La colonie réduit peu à peu son activité ; les mâles sont tués ; les abeilles au nombre de 50 000 se groupent de préférence aux abords du tunnel.
21 et 22 novembre. — Température très douce. Les abeilles sortent très activement et rapportent du pollen récolté sur les fleurs de lierre. Cest la date extrême des apports de pollen. Le miel operculé nest pas touché.
10 et 11 décembre. — Sortie active des abeilles au début de laprès-midi ; elles ne rapportent rien de visible. Tout le miel non operculé a disparu des cellules.
21 décembre. — Vers 14 heures, les abeilles sortent mais ne rapportent rien. Température intérieure du Vivarium +15°C. Un thermomètre plongé au centre du groupe des abeilles indique +20°C.
28 décembre. — Quelques cellules de miel sont désoperculées, les abeilles les vident immédiatement de leur contenu.
Résumé. — Au cours de ces quelques mois, lessaim de 1 kg 200 placé dans la vitrine du Vivarium a pris un développement étonnant. La quantité de miel mise en réserve est difficile à apprécier, une soixantaine de kilos. Leffondrement des gâteaux prouve que les abeilles travaillent sans se rendre compte de ce quelles font.
La colonie a bénéficié dune source énorme de nectar sécrétée par tous les magnifiques arbres du Jardin des Plantes.
24 janvier. — Sortie massive des abeilles, au cours dun après-midi ensoleillé ; pas de déjections apparentes. Quelques cellules de miel désoperculées sont immédiatement vidées.
11 février. — Il fait encore très froid, mais le dégel commence. Quelques abeilles voltigent au trou de vol. Quelques cellules sont désoperculées, le miel sécoule ; peu dabeilles sen gorgent le lendemain, le miel est toujours répandu par terre.
13 février. — Verglas intense ; froid à 5°C. Les abeilles sont bien groupées, tassées les unes contre les autres ; quelques-unes deviennent très actives dès que lon remue les gâteaux de cire. Le miel répandu na pas encore été absorbé. La masse des abeilles représente un volume de 10 litres. Il doit y avoir approximativement 50 000 abeilles. Pas de mortalité.
28 février. — Les abeilles sont toujours bien tassées ; quelques abeilles volettent ; déjections liquides. Les chatons de noisetiers ne sont pas encore ouverts.
1er mars. — Le dégel est amorcé ; le soleil brille toute la journée. Les abeilles sortent en masse. Pas de déjections liquides. Jobserve de nombreuses abeilles qui boivent de leau pure. Ce sont des jeunes, elles nont aucune combativité, elles ne semblent pas vouloir se servir de leur aiguillon. Une grosse activité règne à lintérieur de la ruche. Tout le miel répandu est absorbé. Les abeilles ont un phototropisme positif intense.
14 mars. — 3 à 4 grosses poignées dabeilles sont mortes dans le fond de la ruche. Très beau soleil ; la température est aux environs de 20°C. Les abeilles rapportent du pollen depuis quelques jours :
Je compte à 13 heures : 5 minutes 54 abeilles avec du pollen ; 5 minutes 56 abeilles avec du pollen ; 5 minutes 52 abeilles avec du pollen.
19 mars. — Temps variable, ondées suivies de belles éclaircies. A 13 heures, les apports de pollen oscillent entre 30 et 181 abeilles pour la même période de 5 minutes.
Quelques cellules de miel sont désoperculées, les abeilles le lèchent avec la plus grande avidité. Jobserve des échanges de nourriture entre les abeilles.
Une cellule de miel, située contre la vitre est désoperculée par une abeille qui se gorge avidement.
Les abeilles sont belles, luisantes, semblent en parfait état.
Les noisetiers et les cornouillers sont en pleine floraison.
A lintérieur de la ruche, on aperçoit des paquets de chaînes cirières.
23 mars. — Temps splendide. Les abeilles ont des pelotes de pollen énormes ; à 16 heures en 5 minutes, on compte une première fois 180 abeilles chargées, une seconde fois 170. Celles qui rapportent du pollen représentent la moitié du nombre total de celles qui rentrent à la ruche.
Voici donc un an que lessaim a été installé. Il a lavantage sur lannée précédente davoir déjà une masse énorme de couvain et des milliers de cellules de cire à sa disposition. Il doit prendre cette année un développement prodigieux, remplir là totalité de la vitrine et jeter plusieurs gros essaims.
24 mars au 1er avril. — Apport constant et massif de pollen.
14 avril. — On aperçoit des gâteaux de cire nouvelle ; les petites et les grandes cellules contiennent des ufs, du nectar, du pollen et du miel fraîchement operculé. Il doit y avoir 40 000 à 50 000 abeilles. Les abeilles expulsent des cadavres de nymphes. Pourquoi ?
18 avril. — Toujours les mêmes apports de pollen, environ 140 abeilles chargées toutes les 5 minutes.
20 avril. — La température étant plus douce nous apercevons pour la première fois une plaque de couvain douvrières operculées. Il y a quelques manques ou trous. Pourquoi ? Dans la partie antérieure de la ruche, les abeilles construisent uniquement en petites cellules.
22 avril. — Pleine floraison des marronniers dInde blancs.
24 avril. — Hier on a aperçu le premier mâle éclos.
29 avril. — La colonie compte de 80 000 à 100 000 abeilles avec près de 10 000 mâles.
3 mai. — A 14 heures, en 5 minutes, on compte 250 abeilles chargées de pollen. Temps splendide; les marronniers dInde sont en pleine floraison. De très nombreux mâles font leur première sortie avec le vol de repérage caractéristique au trou de vol. Dans la partie supérieure de la paroi postérieure de la vitrine, les abeilles ont rempli plusieurs cellules de miel quelles ont operculées. Dans les cellules de lannée dernière, les abeilles accumulent du nectar, mais la reine ne vient pas y pondre. Elle recherche de préférence les cellules de cire neuve. Dans certaines zones les abeilles construisent de petites cellules, dans dautres de grandes.
17 mai. — Apport considérable de nectar, les acacias sont en pleine floraison. La reine pond dans les cellules libérées par léclosion des mâles.
31 mai. — La colonie, en dépit de son activité, de son développement qui font ladmiration des visiteurs ne me paraît pas évoluer normalement. Il y a des cellules de mâles operculées qui ne donnent aucune éclosion; dans dautres, les ufs pondus par la reine névoluent pas. Ils disparaissent. Pourquoi ?
6 juin. — Les tilleuls sont en fleurs.
12 juin. — Beaucoup de cadavres dans le fond de la ruche. La colonie en dépit de son apparence florissante névolue pas comme elle devrait le faire. Elle est frappée à mort dune manière mystérieuse.
15 juillet. — Augmentation dérisoire du nombre des abeilles. Pendant le même mois de lannée dernière, le nombre des abeilles avait doublé.
Au cours des années suivantes, la colonie sest maintenue, mais elle saffaiblissait peu à peu, sans jamais donner dessaim.
En 1945, au cours dun passage à Paris, nous allons voir notre colonie au mois doctobre. Des milliers de papillons de la petite fausse-teigne voltigent à lintérieur et à lextérieur de la vitrine. La solution du problème, cette mortalité mystérieuse, nous en avons la cause sous les yeux.
Dans le fond de la vitrine, au milieu du sable nous apercevons des milliers de petites galeries avec des chenilles de la fausse-teigne. Nous prédisons la mort de la colonie dans un avenir très proche. Elle séteignit au printemps suivant.
CONCLUSION. — Le journal de cette colonie que nous avons résumé, donnera tout au moins nous lespérons, des indications exactes sur le développement des abeilles livrées en quelque sorte à elles-mêmes. Cette expérience nous a apporté par ailleurs une démonstration sur les ravages de la fausse-teigne, démonstration sur laquelle nous ne comptions pas.
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