Extrait de La Belgique Apicole, 28 & 29 1964-65 Avec leur permission. Original dans Deutsche Bienenzeitung et le Bee World |
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par le Frère ADAM, O.S.B. de lAbbaye St Mary de Buckfast, Angleterre Traduction et adaptation française par Georges LEDENT Uccle, Belgique |
BA 28(11) 1964 p287-292
Cette relation achève la série de relations de voyages publiée par le Frère Adam dans le « BEE WORLD » et reproduite dans « La Belgique Apicole » de 1953, p. 13, 38, 71, 102, 139, 168; de 1955, p. 72, 113, 168, 169, 195, 196, 235, 274 et 279; de 1959, p. 14 et de 1961, p. 262 et 300. Personne na jamais voyagé si longtemps ni si loin pour étudier les diverses races et lignées dabeilles, et en obtenir matière à élevage, à utiliser et à observer dans les conditions prévalantes à son propre rucher.
Dans ce rapport, Frère Adam traite de ses voyages au Maroc, en Asie Mineure, Grèce septentrionale et îles de la mer Egée, en Yougoslavie et Banat, Egypte et Libye.
Georges LEDENT
La Hulpe - Belgique
Novembre 1964
Lorsque jai entrepris ce travail en décembre 1948, mon ferme espoir était den avoir fini en quelques années. Toutefois, sans que le dessein en ait été en rien étendu chacun des pays figurait au programme fixé à lorigine le travail ne fut mené à bien quà la fin de 1962 : cest que la tâche demandait que chaque étape comporte tout un programme organisé dans les détails, organisé et coordonné.
La première relation, publiée dans le « Bee World » en 1951, contenait un aperçu du but et de létendue de lentreprise, et des détails sur ce que javais trouvé en France, Suisse, Autriche, Italie, Sicile et Allemagne.
La seconde relation, parue dans le « Bee World » en 1954, contenait ce que javais trouvé en Afrique du Nord, Israël, Jordanie, Syrie, à Chypre, en Grèce, en Yougoslavie ou, plus précisément en Carinthie et dans les Alpes de Ligurie.
La troisième relation, parue dans le « Bee World » de 1961, couvrait uniquement la Péninsule Ibérique. En automne 1954, je fis une courte visite en Turquie et aux îles Egées.
Un rapport sur « Les abeilles dAsie Mineure » fut adressé au Congrès International dApiculture à Rome (Apimondia, le XVIIe) mais jusquici un rapport détaillé du voyage en question navait pas été publié, on le trouvera ici. Un compte rendu sur les îles Egées a paru, en 1961, en allemand, dans la « Bienenpflege ». En juillet 1956, jai pu me rendre en Bosnie, Herzégovine, Monténégro et au plateau de Pest en Serbie. Les détails de ce voyage sont incorporés dans la présente relation en même temps que ceux relatifs à ma visite de la partie Nord-Est de la Serbie, le Banat.
Le complément de voyages, effectué en 1962, couvre le Maroc, la Turquie, la Grèce septentrionale, le Nord-Est de la Yougoslavie et enfin lEgypte. Jai quitté lAngleterre pour le Maroc le 26 mars et, après avoir poussé jusquen Turquie et en Yougoslavie, je regagnai Buckfast le 28 juin, à temps pour aider aux travaux principaux de la saison. Le 2 octobre, je menvolais de Londres vers Le Caire pour y revenir en janvier 1963.
Après traversée de Harwich à Hoek van Holland la nuit du 26 au 27 mars, jempruntai de l« Autobahn » depuis La Haye jusquen Allemagne méridionale pour, de là, par Lyon, Narbonne, Barcelone et la côte méditerranéenne gagner Gibraltar où jattendis le Dr R.H. BARNES, mon compagnon de route bénévole au Maroc. Peu après minuit, jentendis arriver son avion et nous nous retrouvâmes le lendemain matin au petit déjeuner. Quelques heures plus tard, nous étions en route pour Tanger.
En 1962, javais eu la ferme intention de visiter le Maroc, mais des difficultés diverses mavaient empêché de pousser à louest, dans le pays voisin. A posteriori, je me rends compte que cette remise était tombée fort à propos, car je naurais jamais pu faire mon travail à ma satisfaction dans les conditions qui régnaient à ce moment. Je ne portais guère dintérêt à labeille indigène noire du Maroc, me rendant compte quelle ne pouvait différer matériellement de labeille indigène dAlgérie, A. mellifera intermissa. Lobjet de ma visite au Maroc était avant tout dobtenir une connaissance plus précise de labeille saharienne de son habitat. Sous ce rapport, M. Paul HACCOUR, de Sidi-Yahia du Gharb, que javais rencontré aux Congrès de Rome et de Madrid, me fut dune utilité extrême. M. HACCOUR (voir son article sur labeille saharienne : http://fundp.ac.be/~jvandyck/homage/artcl/haccour61.html), qui possède quelque 2000 colonies, est des plus fins commerçants en apiculture que jaie eu le plaisir de rencontrer. En outre, il parle arabe et a toute une vie dexpérience dans les rapports avec la population indigène.
Si bien que notre première visite fut pour sa maison, une villa à quelque distance de Sidi-Yahia, ombragée deucalyptus, de mimosa, citronniers et de maintes autres espèces dessences subtropicales. Lair était tout embaumé de lodeur forte de la fleur doranger, en particulier tôt le matin avant que le soleil nait dissipé la forte humidité. A midi, le thermomètre marquait 32°C. Nous arrivions à la saison où la campagne se pare de sa flore la plus riche. Et des pluies exceptionnellement abondantes au cours des mois précédents avaient rendu la flore dune luxuriance inusitée. Après deux jours dans ce paysage merveilleux, passés visiter quelques apiculteurs dans le voisinage, nous partions pour le désert en compagnie de M. et de Mme HACCOUR.
Notre route nous conduisit par delà lAtlas septentrional, via le col du Zad. Ici, à quelque 2000 mètres, nous rejoignions des conditions hivernales et la neige nous entourait de partout: on nous dit en effet quune semaine plus tôt, nous naurions pas pu passer le col en voiture. Nous passâmes la nuit à Midelt, petit village des collines orientales de lAtlas.
Au matin, tandis que nous approchions de la lisière du Sahara, le caractère de la végétation changeait et des palmiers-dattiers faisaient leur apparition par-ci par-là. Au lieu de la roche nue et de la pierraille, se dessinaient des dunes de sable. Bien avant midi, nous touchions le Tafilalet, un groupe doasis que M. HACCOUR considère comme le berceau de lA. mellifera sahariensis.
BA 28(12) 1964 p316-317
Je pense que cest Ph.J. BALDENSPERGER qui le premier attira lattention sur cette race, en 1921. Il découvrit cette abeille à Figuig, loasis la plus à lest du Maroc. Pour autant que lindiquent nos connaissances actuelles, Figuig est aussi le point le plus à lest où cette race puisse être rencontrée. On ne la trouve en tout cas pas dans les oasis mieux connues dAlgérie, telles Laghouat, Bou Saada, Biskra ou Ghardaia. Vers louest, sa présence sétend au moins aussi loin que Ouarzazate, comme nous pûmes nous en assurer nous-mêmes. Il y a lieu de se rendre compte de ce que cette race est retenue dans son expansion par deux grandes barrières naturelles : par la chaîne majestueuse des Monts de lAtlas au nord-ouest, et par létendue infinie des sables à lest et au sud. En outre, chacune des oasis diverses est pratiquement isolée des autres par des lieues de désert aride. Pour autant que jaie pu men rendre compte, il ny a guère ou pas de croisement possible dun lieu à lautre, la plupart du temps.
La question se pose. Comment cette race a-t-elle pris naissance ? Que labeille saharienne constitue une race distincte, distincte dans ses caractères externes et physiologiques, ne peut faire aucun doute. Nous savons quau travers de toute lAfrique du Nord, de la Tripolitaine aux confins les plus méridionaux du Maroc riverains de lAtlantique, labeille noire comme jais A. mellifera intermissa a une position maîtresse sans concurrence. Mais voilà quici, coincées entre lAtlas et le désert, nous trouvons dans un secteur relativement peu étendu, limité à la lisière du désert, des poches miniatures dune race dabeilles jaunes. Je ne puis croire un seul instant que cette « saharienne » ait pu au cours des temps résulter dune évolution de lintermissa. Il ny a pas de similitude entre les deux races. M. HACCOUR est de lopinion que des immigrants juifs auraient pu apporter ce type depuis le Proche Orient il y a plus de deux mille ans et quentre temps, les conditions locales auraient provoqué lévolution en ce que nous qualifions maintenant de sahariensis. Pourtant toutes les races du Proche Orient me sont bien connues et je ne discerne que peu ou pas de ressemblance. Extérieurement, la sahariensis ressemble à lApis indica plus quà toute autre, mais la ressemblance ne va pas plus loin.
La pure sahariensis nest pas jaune, la couleur pourrait le mieux être dite fauve clair. Mais il y a une gamme de variations fort étendue, et la couleur sétend de façon diversifiée aux segments dorsaux. En raison de la teinte foncée et des fortes différences dans le marquage, la Saharienne attire bien moins que les races à couleurs plus éclatantes. Par la taille, cette abeille se place à mi-chemin entre la ligustica et la syriaca. Les reines aussi diffèrent de lune à lautre par la couleur allant du jaune clair au brun foncé, bien que jamais noire. Les faux-bourdons sont remarquablement uniformes et ont deux segments nettement colorés bronzé.
Jai trouvé les reines pures modérément prolifiques. Les abeilles sont relativement douces, bien que plutôt nerveuses, en particulier en période de sécheresse. Quand on ouvre une ruche, elles courent de-ci de-là, exactement comme le font les guêpes dont on dérange le nid. Elles prennent aussi lair en grand nombre mais sans témoigner dagressivité. Et lors des examens, elles tombent aussi facilement du rayon. Je ne connais pas dabeille tenant aussi mal le cadre. A ce point de vue, labeille italienne se place à lautre extrême : il faut la forcer pour la faire lâcher. Une autre caractéristique de la sahariensis est son vol rapide à partir de lentrée de la colonie. Il ny a pas la moindre flânerie quelconque, et Baldensperger, je crois, lavait déjà noté. Il y a tendance à propoliser, mais sans excès. Les sahariensis pures ont souffert de lourdes pertes à Buckfast durant lhiver rigoureux de 1962-63, mais les colonies ont survécu en bon état dune façon surprenante et en restant fortes. Celles ayant des reines métissées au premier degré hivernèrent magnifiquement à tous points de vue.
Un métissage au premier degré de reines sahariennes avec nos faux-bourdons sest révélée éminemment prolifique en fait lhybridation la plus prolifique jamais réalisée jusquici à nos ruchers. En outre, le couvain est magnifiquement compact et chose particulièrement remarquable dans une première hybridation peu ou prou délevage de mâles. Cette caractéristique sest manifestée dans toutes les colonies pourvues dune reine de première hybridation de ce type. Je considère ce fait comme une qualité désirable au plus haut point, étant donné que la plupart des métis ont tendance à élever des mâles à lexcès, et certains croisements endommagent invariablement un jeu de rayons ou de cires gaufrées dans une mesure telle que leur utilisation ultérieure devient antiéconomique. Bien que la sahariensis pure ait la réputation dêtre encline à lessaimage, je nai pas constaté quil en aille de même pour de premièrs métis. Il est prématuré de donner un avis sur la capacité de rendement en nectar récolté et sur le butinage en général de ces hybrides, vu que lété 1962 fut un fiasco complet dans le sud-ouest Devon. De fait ce fut la pire saison de mes quarante-neuf ans dapiculture. Je dirai cependant ceci : labeille saharienne, croisée convenablement, a de grandes possibilités. Par contre la pure sahariensis a peu de chances de se révéler de quelque valeur à lapiculteur.
On revendique pour cette race nombre de qualités, comme la langue qui est exceptionnellement longue, sa puissance de vol qui est supérieure et aussi sa capacité comme butineuse. Du côté langue on sera fixé dès que lon sera en possession de données biométriques précises. La sahariensis est sans aucun doute une abeille exceptionnellement active, mais je ne pourrais dire si son aire de vol est aussi vaste que ce qui a été supposé. Des preuves pourraient être fournies plus tard à lappui, sur des bases auxquelles on pourrait se fier. Compte tenu du milieu dans son habitat natal, les suppositions qui ont cours auraient des chances de se révéler correctes.
Parmi les premières choses qui maient frappé à mon arrivée à Erfoud, ville principale du Tafilalet, fut létat froissé et fané des palmiers. Daspect flétri et sans vie, ils navaient rien de ce vert profond quon associe généralement au feuillage de la palme, et que javais vu dans les oasis algériennes et dans dautres régions du monde. Il y avait là une indication quant au climat et au milieu où labeille saharienne passe sa vie. Ici, aux confins du Grand Atlas et du Sahara, la température varie, allant de fort près du zéro en hiver jusquaux environs de 50°C au cours de périodes torrides de lété. Dans toutes les régions désertiques, lécart de température entre jour et nuit est fort marqué, mais ici, semble-t-il, plus que partout ailleurs.
A part quelques fleurs du désert, les sources principales de nectar sont le palmier-dattier, leucalyptus, le citronnier, la luzerne et divers légumes. Ceux-ci sont cultivés en petits lopins de terre parmi les palmiers. Des visites de colonies auxquelles jai pu procéder, il ressort que la lutte pour lexistence est ici des plus acharnée. Là où aurait pu se trouver une colonie en activité, que de fois navons-nous trouvé quune ruche vide avec des restants de rayon ! Le nombre de colonies, dans les oasis diverses visitées, peut se dire, au mieux, réduit. Par suite, il nest pas surprenant que les apiculteurs locaux ne se dessaisissent pas volontiers dune reine et moins encore dune colonie entière.
Ma carte Michelin de 1950 renseigne la plupart des régions que nous traversions comme « zones dinsécurité », et lapiculture moderne na pas eu le temps de pénétrer en ces lieux reculés ; (nous ne sommes tombés que sur une ruche moderne, dans les jardins du gouverneur de Goulmina). Suivant la coutume, on tient les abeilles dans des anfractuosités des maisons ou des murs de jardin. Et ces trous ne sont guère spacieux : larges de 50 cm, hauts de 20 et profonds de 25 cm environ, on y accède en enlevant un couvercle de bois en une ou plusieurs pièces, fixé au moyen dargile.
Lorsque le trou est dans le mur dune maison, on y a accès depuis lintérieur de la maison ou de la pièce. Et cest cela la façon la plus répandue de pratiquer lapiculture dans ces régions reculées. Néanmoins, à Goulmina, dans les jardins du gouverneur, jai noté un certain nombre de constructions spéciales en argile, de dimension et de forme particulières. Les entrées étaient pourvues dun dispositif contre les maraudeurs - une planche carrée dune vingtaine de cm de côté, avec des trous forés de façon à permettre le passage dune seule abeille. Il semble que ceci soit une précaution nécessaire, bien que tant que je fus sur place, je naie pas constaté la présence daucun des nombreux ennemis des abeilles existant en dautres régions de lAfrique du Nord, sauf la fausse-teigne.
Dans le désert algérien, je navais pas observé une disette dabeilles comparable. A Laghouat, par exemple, une oasis pas plus étendue que celles visitées au Maroc, il y avait au moins 50 colonies de telliennes noires, évidemment. A vrai dire, il ny a pas dapiculture à proprement parler dans les oasis du Maroc : on loge les abeilles et les laisse ensuite à elles-mêmes. Maintenant que jai quelque expérience de la Saharienne en Angleterre, je ne puis attribuer la rareté des abeilles dans son habitat dorigine quà une combinaison de circonstances exceptionnellement adverses; au point quon peut se demander, en fait, comment cette race a pu sétablir dans de pareilles conditions et survivre jusquà nos jours.
Nous ne pûmes inclure dans notre tour les oasis à lest de Tafilalet, mais poussâmes à louest depuis Ksar-es-Souk jusquà Ouarzazate. Nous pouvons dire que lhabitat de la sahariensis sétend de Figuig à Ouarzazate, mais ses limites effectives à lest et à louest de ces points demeurent indéterminées.
DOuarzazate, nous traversâmes lAtlas méridional par le col de Tichka (environ 2 500 m) en longeant sur notre gauche le Dj. Toubkal, la plus haute montagne de lAfrique du Nord (env. 4 500 m). Tout au long de notre route se succédaient des pics enneigés. Puis nous fûmes nous-mêmes dans la neige, mais pas pour longtemps : encore quelque 130 km et nous atteignions Marrakech, doù nous repartions sur nos pas de nouveau en direction Nord.
Le but principal de ma visite au Maroc était dacquérir de première main la connaissance de labeille saharienne et de son habitat, mais jen ai profité aussi pour approfondir ce que je savais de labeille noire africaine quon trouve dans les régions à louest de lAtlas. Il apparut bientôt clairement que les colonisateurs français avaient en leur temps importé des reines dItalie, voire dAmérique. Même au sud de Marrakech, pouvaient être notés les signes de ces importations. En général, labeille noire indigène ne diffère pas matériellement de la tellienne telle quon la trouve en Algérie, à ce point près que leur humeur, déjà bien mauvaise en Algérie, se mue ici en une férocité sauvage. A cela jai rencontré une exception à Petitjean, dans un rucher à lécart denviron 300 colonies appartenant à une famille berbère. Ses abeilles ressemblaient davantage daspect externe à la carinthienne, et on pouvait la traiter avec une relative impunité. Si ces colonies avaient été dans des ruches modernes appartenant à des Européens, ou à peu de distance dun village ou dune ville, jen aurais conclu que ceci était le résultat dune importation. Mais, le rucher se trouvait loin de toute habitation ; les propriétaires vivaient dans des tentes, à la bédouine ; les ruches étaient confectionnées de matière tressée et se trouvaient à labandon dans la mauvaise herbe et les fourrés. Et pour compléter ce tableau primitif, on avait suspendu le crâne de quelque animal pour conjurer le mauvais sort.
Notre trajet de Marrakech vers le Nord nous fit traverser presque toute la longueur du Maroc. Par suite des chutes de pluie exceptionnelles de lhiver précédent, le pays était une orgie de couleur. Peu après avoir quitté Marrakech et les dernières palmeraies, nous nous enfonçâmes dans un véritable océan de jaune sétendant à perte de vue, apparemment de moutarde commune (Brassica campestris). Un peu plus loin, ce furent de larges plaques de coriandre (Coriander sativum), cultivée pour son fruit. Les abeilles travaillaient à plein sur cette dernière. Puis de vastes surfaces de soucis dAfrique se montrèrent. La plus grande partie de la moitié nord du Maroc occidental à louest de lAtlas était comme un vaste parterre de fleurs, avec une température de serre et une humidité correspondante. Ce que je puis en dire, cest que cette région doit présenter de grandes possibilités pour un apiculteur entreprenant.
Le Dr BARNES et moi-même dûmes prendre congé le lendemain de notre retour à Sidi-Yahia. Nos hôtes eurent la gentillesse de nous accompagner jusquà Larache où je prélevai les derniers échantillons dabeille noire marocaine à une station agricole voisine. Nous y prîmes congé de M. et Mme HACCOUR. Sans leur aide, jamais je naurais pu réaliser cette partie de mes recherches et, je men rends compte maintenant, jaurais raté la possibilité de me procurer une masse de renseignements extrêmement précieux ainsi que du matériel délevage susceptible de se révéler, en temps utile, de toute première importance économique. Je tiens donc à exprimer à mes hôtes toute ma reconnaissance pour laide quils mont prêtée.
De Gibraltar, le Dr BARNES rejoignait lAngleterre tandis que je gagnais Barcelone par la route pour y prendre le bateau pour Istanbul le 7 avril.
BA 29(1-2) 1965 p5-10
Tandis quà laube du 23 avril, le « Karadeniz » franchissait les Dardanelles, mes pensées se reportaient à la première grande guerre. Les hauteurs sur la gauche, pour lesquelles on se battit si furieusement, étaient couvertes de fleurs printanières sous la chaude caresse du soleil levant. Le continent à ma droite, je le savais, est considéré comme une des régions les plus favorisées dAsie Mineure pour lapiculture.
Comme dit plus haut, javais visité une première fois la Turquie en 1954. Alors, jétais arrivé par la route, traversant la Yougoslavie et la Grèce septentrionale. Il y a 8 ans, la route Istanbul Ankara nétait que pierrailles, la plupart du temps, en bonne partie bien médiocre. A ma vive satisfaction, je trouvai cette fois tout le long du trajet une route automobile excellente.
Lors de ma première visite, je me rendais à Ankara passablement incertain de ce que jy trouverais. Je savais quau Sud du Taunus, je rencontrerais linfluence de labeille syrienne et celle de la Caucasienne loin à lEst. Mais je navais aucune idée de ce qui mattendrait dans le reste de la Turquie. Deux ans plus tôt, étant en Israël, javais entendu parler dun livre : « Etude sur les abeilles et lapiculture en Turquie », par feu le Prof. F.S. BODENHEIMER, qui avait résidé quelque temps à Ankara. Le livre avait paru en 1942 ; toutefois je ne parvins quen août 1958 à en obtenir un exemplaire en prêt, puis, un peu plus tard, le professeur BODENHEIMER men faisait tenir un exemplaire. Mais il est certainement fort heureux que je naie pas eu ce livre avant 1954, sans quoi jaurais fort bien pu biffer lAsie Mineure de mon programme de recherches en la considérant comme dénuée dimportance pratique. Il y a dans ce livre maints détails intéressants relatifs aux ruches primitives et aux méthodes apicoles. Le chapitre sur les races contient des données biométriques et des tentatives de généralisation. Les points de première importance à mon point de vue, à savoir les caractères physiologiques et les qualités de portée économique, ne sont pas discutés. Quelques-uns sont effleurés indirectement, par exemple des comptages de populations de colonies faits aux environs dAnkara, mais il en ressort malheureusement limpression que labeille dAnatolie Centrale serait moins prolifique que toute race connue et, en tout état de cause, sans valeur économique.
Le premier trajet en Asie Mineure couvrait le territoire compris entre Ankara, Sivas, Erzincan, Bayburt, Trébizonde, Samsun, Sinop, Kastamonu et, vers louest, jusquau sud, à Eskesehir et Bursa : en somme, la moitié nord de la Turquie. Le voyage de 1962 se déroula dans la moitié sud, incluses les régions les plus importantes visitées en 1954, mais non comprise la région militaire orientale. Ce dernier fait, fort regrettable à plus dun point de vue, peut avoir été une chance, à le considérer après coup : les routes en Turquie, surtout dans les régions reculées, sont inimaginablement mauvaises, et ce que je suis parvenu à en parcourir aurait eu raison de lendurance de nimporte quel chauffeur. A lest et au nord-est dAnakra, cela devenait quasi impossible en 1962 : le sol navait pas encore séché en mai et le risque de rester embourbé et sans secours était constamment présent. Les cours deau débordaient encore et il fallait les passer à gué sans savoir si la profondeur le permettrait. Le souvenir de ces transes et de ces expériences me hantera encore longtemps. Toutefois de grandes améliorations sont en cours, inclus la construction de routes axiales.
Suivant l« Encyclopedia Britannica », lAsie Mineure comprend la Turquie proprement dite, lArménie, Chypre et la totalité de la péninsule dArabie. Cependant, pour cette fois, mes recherches se limitèrent à ce qui est considéré communément comme lAsie Mineure, soit la région délimitée par la frontière de la Turquie moderne, à lest du Bosphore et des Dardanelles : pas loin de 500 mille km2 ; 14 500 km dest en ouest et 3 800 km du nord au sud. Ce nest pas un territoire énorme, mais un certain nombre de races distinctes y ont leur habitat. Ceci peut surprendre aussi longtemps quon ignore la topographie et les différences climatiques du pays.
LAnatolie est entourée de chaînes montagneuses au nord, à lest et au sud. Une chaîne de moindre importance court depuis les éperons ouest de la chaîne Pontique jusquau Taurus de Lycie, fermant le cercle. La chaîne ouest, bien quatteignant en quelques points des pointes approchant des 2 500 m, sabaisse vers la mer Egée et la mer de Marmara. A lextrémité est, linverse se produit, le sommet le plus élevé étant, à laltitude de plus de 4 000 m, le mont Ararat où, suivant la tradition, Noé posa son arche. Encerclée par ces montagnes, nous avons lAnatolie Centrale, une steppe à un millier de mètres daltitude.
Le long des côtes, dAlexandrette aux Dardanelles, le climat est méditerranéen : hivers pluvieux et étés secs. Le littoral Nord, du Bosphore à Batoum, reçoit des pluies abondantes toute lannée, plus fortes à mesure quon approche du Caucase. Près de la frontière soviétique la moyenne des précipitations atteint 250 mm. Je me souviens fort bien que la nuit de mon arrivée à Trébizonde en 1954, à fin août, il pleuvait aussi abondamment que dans notre Sud Devon anglais. En Turquie orientale, anciennement lArménie, il pleut sensiblement moins, mais les hivers sont durs et prolongés. En août 1954, me trouvant à Erzincan, je pouvais voir de la neige de lhiver précédent, restée sur les hauteurs avoisinantes.
LAnatolie Centrale a des étés chauds et secs et des hivers rudes, avec jusquà 43 degrés sous zéro à Ankara. La pluie est rare, en moyenne 330 mm annuellement, ou moins. Les pluies tout au long de lannée, comme sur la côte de la Mer Noire, on ne les connaît pas en Anatolie Centrale où le peu qui tombe le fait principalement en hiver et au printemps. Durant la majeure partie de lété, cette partie de lAsie Mineure offre le spectacle dun désert comparable à celui de lArabie pourtant distant de centaines de kilomètres au sud-est. Limmense lac salé de Tuz-Gölö, au cœur de ce plateau, ne fait que souligner laridité de lAnatolie Centrale.
Dans les plaines semi-tropicales et dans les vallées abritées de Cilicie et dAntalya, leucalyptus, loranger, le citronnier, le palmier-dattier et le cotonnier constituent les principales sources de nectar. On trouve diverses variétés de trèfle dans les riches pâturages sur les versants sud du Taurus. Dans les régions plus hautes, chêne et sapin donnent du miellat, et la flore alpine du nectar. Le long de la côte de la Mer Noire, la végétation offre beaucoup plus de variété et de richesse que le long de la Méditerranée, en raison de pluies plus abondantes et régulières, bien que, depuis le promontoire du Sinope en allant vers lest, cela se dégrade, les pluies se faisant plus rares à mesure quon approche du Bosphore. Presque tout contre le Sinope, vers lest, entre Gerze et Alçam, se trouve une vaste étendue de jungle, dune richesse végétale que je nai rencontrée nulle part ailleurs au cours de mes voyages. Les meilleurs tabacs du monde viennent de la région entre Bafra et Samsun. A lest de Samsun, ce ne sont partout quoliviers et citronniers, et à lest de Trébisonde le thé est largement cultivé. Les coteaux derrière les plaines du littoral se parent de forêts de pins et de sapins, de cèdres, de chênes et de hêtres. Sur les versants face au nord, poussent communément diverses éricacées, dont Erica arborea et de la bruyère. Il y a aussi ici du Rhododendron ponticum et du R. luteum, dont provient le miel empoisonné.
La végétation de lAnatolie occidentale rappelle davantage celle de lEurope méridionale. La région au sud-ouest dIzmit est un des plus beaux vergers du monde. Bien que réputée surtout pour ses figues et ses raisins, nombre dautres fruits de nombreuses espèces y prospèrent à la perfection. Cest aussi la contrée dAsie Mineure la plus favorable à lapiculture. LAnatolie Centrale, pour sa part, est à lautre extrême : le printemps y éclate dun coup, avec une profusion éphémère de végétation, mais au milieu de lété tout a dépéri et le pays devient aride, brun et brûlé. Il ny a presque pas darbres dans cette partie de la Turquie, sauf autour des habitations. Les villages et les villes de cette haute steppe font penser en été à des oasis, mais en place de palmiers, ce sont de puissants peupliers qui sélancent vers le ciel. Comme on pouvait sy attendre, la miellée dans ces régions est brève mais abondante, suivie de 3 ou 4 mois de chaleur, de sécheresse et de stérilité jusquau retour de lhiver. Lors de lépanouissement printanier, la nature se parait de nombre de fleurs qui métaient inconnues. Néanmoins, à en juger par le miel récolté et par la végétation, je conclus que les sources principales de nectar sont différentes espèces de chardons.
A lest du Plateau Central, en direction des hauteurs de lArménie, le relief sélève constamment, labondance des pluies saccentuant parallèlement, de même que la rudesse du climat. La végétation évolue en conséquence, graduellement : passé Sivas, des pâturages verts se trouvent même sur la fin de lété. Le miel, ici, est semblable à celui provenant en Angleterre du trèfle blanc, sauf que sa densité est plus forte. A Baiburt, à 1500 mètres, la végétation apparaît pauvre et maigre, ce qui nempêcha pas que je tombe sur des ruches modernes avec deux hausses Langstroth bourrées de miel. Kars, à deux pas de la frontière soviétique, a la réputation dêtre un des villages ayant la meilleure production de miel, mais ici, tout comme dans nombre de régions à grandes forêts, il provient principalement de miellat.
On connaît de longue date lAsie Mineure pour son miel empoisonné, provenant du Rhododendron ponticum à fleur violette et de lazalée jaune, plus correctement R. luteum. Ces deux arbustes croissent à létat sauvage, en masse, uniquement le long de la côte turque de la Mer Noire, leur habitat dorigine. Les symptômes généraux dempoisonnement sont des nausées, étourdissements, maux de tête, troubles visuels, cécité temporaire dont la gravité dépend de la sensibilité individuelle et de la quantité de poison ingérée. Récemment on a signalé des pertes dabeilles dans des régions dEcosse abondamment fournies de rhododendrons, mais au cours de mes visites à la côte turque de la Mer Noire, jamais je nai entendu dallusion à des pertes dabeilles, de ce fait.
A lInstitut dApiculture dAnkara, on ma montré une liste de la flore nectarifère de Turquie. Elle comprenait des sources de miellée bien connues comme le tilleul, lacacia et le noisetier (la Turquie est la source mondiale dapprovisionnement de noisettes !). Il mest arrivé den trouver par-ci par-là, mais jamais en nombre suffisant pour constituer une source importante. Mes deux guides nétaient pas familiarisés avec lapiculture et à cela sajoutait le handicap de difficultés linguistiques. Quoi quil en soit, des informations recueillies, il résultait pour moi que la diversité de la flore offre de grandes possibilités à lapiculteur en Asie Mineure.
La Turquie retire la majeure partie de ses revenus de lagriculture. Elle constitue loccupation de la majorité de ses habitants. Depuis fin de lempire Ottoman un grand pas a été franchi en vue de relever toutes les branches de lagriculture. Chaque vilayet a son directeur agricole ; nombreux sont ceux qui sont dotés dun lycée où filles et garçons reçoivent un enseignement libre. Il est de pratique à peu près constante que ces collèges possèdent un vaste rucher moderne, car lapiculture fait partie du programme. Lun deux était même équipé pour gaufrer la cire. Dans tout le pays se trouvent aussi des centres expérimentaux et délevage où un matériel de choix est mis à la disposition du fermier entreprenant, du producteur de fruits ou de volaille. Lapiculture est représentée dans la plupart de ces centres, mais le principal est lInstitut dApiculture déjà mentionné, le Türkiye Aracilik Enstitüsü, Uman Müdürlügü à Ankara. Une station délevage de reines y a été créée depuis ma visite en 1954, et, pour autant que je sache, cest lunique endroit où, en Turquie, lélevage de reines se fait suivant les conceptions modernes.
Périodiquement le Ministère de lAgriculture publie des statistiques comprenant le nombre de colonies en ruches modernes et en ruches primitives dans chaque vilayet, mais les chiffres ne peuvent pas être trop exacts. Il se produit de fortes fluctuations dans le nombre des colonies, fréquemment, par suite de sécheresse en Anatolie Centrale ou dautres conditions exceptionnellement défavorables dans les régions orientales du pays. Il est généralement admis que le nombre moyen de colonies dépasse le million, dont la plupart en ruches primitives actuellement.
Dans aucun pays visité je nai rencontré une telle variété de ruches primitives. Dans la moitié nord de la Turquie, ou partout où abonde le bois, des ruches oblongues en bois (100×25×20 cm) sont généralement utilisées. Elles ont à larrière un couvercle détachable, ou plus souvent, une partie du dessus détachable en vue de récolter le miel en fin de saison. On trouve aussi des ruches faites dun tronc, le cas échéant divisé en long et creusé au ciseau, dont on soulève la moitié supérieure pour prendre le miel. Dans la partie sud de lAsie Mineure, des ruches cylindriques en matière tressée sont plus répandues mais jen ai parfois rencontré aussi dans le Nord. Toutes ces ruches, à quelques exceptions près, sont utilisées en position horizontale. Je suis tombé sur des ruches sous abri ouvert empilées lune sur lautre mais il est plus fréquent de les tenir isolées. Près dIsparta, jai vu des ruches tressées, à peu près de la grandeur et de la forme de nos cloches, mais pointues et couvertes dargile. Occasionnellement se rencontrent quantité de modèles bizarres. Lutilisation de tuyaux en terre, généralisé en Syrie et dans les autres pays arabes, nest pas répandue en Asie Mineure.
Des ruches modernes, la Langstroth, pour le modèle et les dimensions, est utilisée presque exclusivement, bien que jaie rencontré à Aydin un rucher composé de ruches dun modèle rare contenant douze rayons denviron 25×25 cm, parallèles à lentrée. Ces ruches adroitement construites et bien tenues indiquaient que lapiculteur sy entendait. Près de Trébizonde, à ma surprise, je tombai sur une de ces dernières lubies : une ruche dont les cadres se terminent en pointe telle quun inventeur français la prônait, il y a une quinzaine dannées. Je fus aussi fort surpris de la présence dans plusieurs lycées agronomiques, de ruches dun modèle anglais à toit à pignon, entrée, planche de vol et pieds particuliers au modèle dont je me demande, sans en avoir trouvé lexplication, comment il a abouti en Asie Mineure.
La ruche moderne na pas pris en Turquie aussi rapidement quen beaucoup dendroits du monde malgré les efforts acharnés en vue de son adoption généralisée. Il semble que les autorités, au départ, nont pas réalisé quune ruche moderne est sans valeur en labsence de cire gaufrée et dextracteur. Lors de ma première visite, javais vu beaucoup de matériel moderne à labandon. Là où cet équipement était utilisé, je me trouvais souvent en présence dun enchevêtrement lamentable de rayons bâtis en tous sens par les abeilles. Un apiculteur, conscient de la nécessité de cires gaufrées, garnissait ses cadres de feuilles de cire obtenues vraisemblablement en coulant de la cire sur une dalle de pierre. Rien détonnant dans ces conditions quil ne se soit produit un retour aux méthodes primitives. Les vieux apiculteurs savaient comment conduire des ruches primitives et en tirer du miel. Néanmoins, lors de ma dernière visite, je constatai avec plaisir que toutes les ruches modernes étaient garnies de cire gaufrée. Partout, un grand progrès sétait manifesté au cours de ces huit années.
BA 29(4) 1965 p81-85
La péninsule dAnatolie, nous lavons vu, présente tous les types de variations topographiques. Le climat, de subtropical, passe à la haute steppe aride et à des conditions presque arctiques, le tout dans une aire relativement réduite. A des conditions aussi largement diverses on sattendrait que corresponde une égale diversité dabeilles indigènes, et cest bien le cas, en effet. En attendant le résultat des études biométriques, basées sur les exemplaires quil nous a été possible de recueillir au cours de nos déplacements, et avant que soit possible un classement final, je puis indiquer en termes généraux les races trouvées et certaines de leurs qualités et caractères physiologiques.
Jusquici, il ny a pas eu en Asie Mineure dimportations tirant à conséquence. A lInstitut agronomique de Bursa on ma dit quen son temps on avait importé un certain nombre de reines dItalie mais que les reines dorigine étrangère donnaient une descendance agressive après fécondation par des faux-bourdons indigènes, en raison de quoi on arrêta les importations. En outre, vu que lapiculture moderne nest encore guère pratiquée couramment, on peut considérer que les abeilles recueillies nont pas été affectées de métissage et reflètent linfluence exercée par le milieu et les adaptations commandées par la Nature depuis des temps immémoriaux. Lapiculture pastorale, qui aurait pu jouer un rôle en la matière, nest que peu pratiquée, sauf dans les secteurs ouest touchant la Mer Egée, là où se rencontre aussi la plus forte concentration de colonies.
A lendroit le plus méridional de la Turquie, à Antakya dans les temps anciens Antioche labeille ne diffère pas de lA mellifera syriaca. Cest vrai aussi à Gaziantep. Toutefois, à Mersin, bien que les abeilles soient toujours extrêmement agressives, elles me semblent plus grandes et prolifiques et loin dêtre identiques dans leur aspect externe à la pure syriaca. Ces différences ont été confirmées lors des croisements faits à nos ruchers. Plus au Nord-Est, à Malatya, les différences (sauf pour la couleur) sont encore plus nettes. La couleur orange foncé se retrouve jusquà Erzincan, mais je nai pu établir jusquoù cela se continue vers lEst. On ne la trouve pas au Nord du Taurus. A Gümüsane, à quelque 80 km plein Nord dErzincan, nous aboutissons à une abeille noir pur qui me paraît distincte de la Caucasienne que nous connaissons déjà. Il peut sembler surprenant quà si courte distance dErzincan on trouve une race dabeilles si différente daspect autant que de comportement. Cest que ces deux localités sont séparées par une haute barrière montagneuse que les abeilles sont incapables de franchir. A Beyburt, à 80 km à lEst de Gümüsane, à 1500 m daltitude en bordure du plateau arménien, je tombai sur ce qui me parut être des métis. Le long de la Mer Noire, labeille foncée va jusquà Samsun. La répartition à lEst de Trébizonde reste à déterminer. Nous avons actuellement à nos ruchers quelques premières hybrides de cette race Pontique noire et les trouvons prolifiques, laborieuses à la récolte mais trop enclines à essaimer. Ce croisement est différent en de nombreux points de tout ce que nous avons expérimenté jusquici en fait de premières hybrides caucasiennes.
En ce moment nous avons à lexamen et à lépreuve des reines pures et des premières métis provenant dendroits allant de Mersin, au sud, au Sinope, au nord; et de lieux tout à lEst de lAsie Mineure allant jusquà lextrême Ouest, inclus le secteur européen de la Turquie. Mais jusquici, ces observations nont porté que sur une saison et, malheureusement, sur une saison qui fut calamiteuse et faisait suite à lhiver le plus rigoureux dans nos régions depuis 1740. Aussi na-t-il pas été possible, en dehors du caractère, de la fécondité, de la tendance à essaimer, de la dérive, du bon hivernage et de quelques autres caractéristiques, de se former une opinion sur leur capacité relative de récolte. Par contre, on ne pouvait rêver mieux pour mettre à lépreuve la capacité de survie hivernale de ces races et croisements. A quelques exceptions près, les abeilles dAsie Mineure ont suprêmement bien subi le test, tant les pures que les croisées.
Bien quil nait pas encore été possible de déterminer la valeur économique de nos importations de 1962, les éléments de preuve rassemblés portent à considérer que nous ne trouverons pas une abeille supérieure à celle dAnatolie Centrale. Comme nos premières importations remontent à 1955, jai pu me faire là-dessus une opinion passablement étançonnée.
Depuis quelle a commencé à exister, labeille a dû sadapter à son entourage immédiat ou périr. Labeille indigène, de quelque région quelle soit, est empreinte de la réflexion sur son caractère des qualités nécessaires à sa survie dans la région en question. De cela il nest sans doute pas dexemple plus classique que celui de labeille indigène dAnatolie Centrale, lA. mellifera anatolica.
Jai déjà donné une idée du climat exceptionnel de la haute steppe dAnatolie Centrale. Celui-ci, à son tour, marque de son empreinte la flore dont labeille dépend pour son existence. Sur les hauteurs de lArménie, les hivers sont reconnus moins rudes et plus longs, mais les conditions générales sont moins cruelles quen Anatolie Centrale, en fait les pires de toute lAsie Mineure.
Labeille dAnatolie Centrale ne paie pas de mine. Petite, ressemblant par la taille à la Cypriote, elle na ni léclat ni luniformité de couleur de celle-ci. Sa couleur peut le mieux se décrire orange brouillé tournant au brun sur les segments postérieurs tant dorsaux que ventraux. Le scutellum est généralement orange foncé. Les reines présentent un rebord foncé en forme de croissant à chaque segment dorsal une caractéristique commune à toutes les races orientales. Mais ici elles sont brun noir, et en place de jaune ou dorange clair nous avons chez elles un orange foncé. Mais sous cet extérieur sombre, sont cachées des qualités économiques dune valeur incomparable.
Labeille anatolienne se porte aux extrêmes, tant dans ses qualités que dans ses défauts. Par bonheur ses caractéristiques fâcheuses sont peu nombreuses, la plus sérieuse étant son penchant à édifier de folles bâtisses à tout propos et hors de propos. Cela ne tire guère à conséquence dans lapiculture primitive avec cadres fixes, mais lexcès rend nuls et non avenus les avantages essentiels du mobilisme. En outre, lanatolienne empire la situation en usant de propolis à profusion. Toutefois lun et lautre de ces défauts sont largement atténués, sinon éliminés lorsque les reines sont croisées avec une bonne lignée ditaliennes, voire de carnioliennes. Tout compte fait, ce nest que lorsquil y a métissage convenable au premier et au second degré que la plupart des apiculteurs peuvent envisager de sassurer les meilleurs rendements économiques de labeille anatolienne.
Quant aux qualités, je crois pouvoir déclarer en toute sincérité que lanatolienne est incomparable, en tout cas en capacité de butinage, en frugalité et pour lhivernage. Le croisement la rend extrêmement prolifique. A la mi-juin, la chambre à couvain dune Dadant-Blatt aura généralement ses douze cadres pleins à bloc de couvain et de miel. Pourtant cette abeille nexagérera pas son élevage hors de saison, comme tant de races ont tendance à le faire. Elle démarre lentement au printemps; elle ne sefforcera pas exagérément de développer le nid de ponte avant le retour des beaux jours, mais ceux-ci venus, elle battra toute autre race.
Elle ne gaspillera pas de précieuses provisions en espoirs prématurés et inutiles par les temps variables et défavorables dun début de printemps. Après la grande miellée et lors de disettes, elle sarrangera de façon habile à gérer ses réserves de provisions et dénergie. Je considère la frugalité de lanatolienne, en particulier dans nos conditions incertaines de climat et de miellée, comme lune de ses qualités économiques les plus précieuses, qualité qui fait si tristement défaut chez tant de nos lignées daujourdhui, qui élèvent inconsidérément en période de disette. Lexpérience a montré que lanatolienne prend soin delle-même par temps de pénurie, de raté, alors que dautres meurent de famine.
Jai signalé la grande fécondité et la capacité délevage de cette race. Néanmoins je voudrais relever, que là où cela pourrait savérer désirable, on pourrait par sélection, développer une lignée qui saccommoderait des dimensions dun nid à couvain unique, aux dimensions standard anglaises. Bien que tellement prolifique après croisement, lanatolienne ne sadonne pas à lessaimage, comme nous lavons démontré expérimentalement. Elle a aussi fort bon caractère, supportant les manipulations avec le plus grand calme bien que réagissant vivement par temps froid et tard le soir. De plus, en fait dhumeur, il semble que, suivant les lignées, de fortes différences se présentent, ainsi que jai pu le constater moi-même en Turquie. Mais sous ce rapport lanatolienne ne fait pas exception : à ma connaissance, il nexiste pas de race où ne se marque une différence dune lignée à lautre. Un croisement non approprié ou une fécondation laissée au hasard des rencontres de faux-bourdons provoquera de lirascibilité chez presque nimporte quelle race ou lignée.
Comme signalé antérieurement, lanatolienne est douée dune capacité de travail inépuisable, une faculté qui lui permet de traduire ses autres qualités en valeurs concrètes. De fait, cette abeille personnifie le développement maximum de ce que toute race que jai étudiée peut avoir dindustrieux et de capacité à récolter. En outre, nous avons ici une abeille qui, non seulement fait merveille si la saison est bonne, mais aura un rendement exceptionnel si elle est médiocre ou mauvaise. Ceci tire davantage à conséquence et est pratiquement plus important quune performance brillante à loccasion dune saison réellement bonne. La capacité de tirer parti, même du plus mauvais été, a été clairement démontrée au cours de la saison désastreuse de 1963. Dautre part, au cours de la saison exceptionnellement bonne de 1959, alors que notre moyenne se trouva portée à 67,8 kg par colonie, les croisées anatoliennes dépassèrent nettement ce chiffre et comblèrent notre attente en tout point.
LAnatolienne possède nombre de qualités et de caractéristiques qui effareraient qui nest pas au courant des particularités de cette race. Par exemple, les reines anatoliennes mettront dhabitude une huitaine de plus à entrer en ponte après fécondation. Cette particularité na, semble-t-il, rien à voir avec le temps : le fait se produit même quand le temps est idéal à la fécondation. Dautre part, jai constaté que le quart des reines feront un service plein de quatre années sans perte dans leur énergie ni dans leur fécondité, même dans une colonie de production normale. Il est permis de présumer que cette longévité exceptionnelle tout à fait remarquable compte tenu de la grande fécondité des reines se transmettra dans une certaine mesure à leur progéniture douvrières. La force extraordinaire de ces colonies, corrélative à la fécondité effective des reines, ne peut guère sexpliquer autrement.
Je voudrais une fois de plus mettre en relief ceci : on ne peut tabler sur lAnatolienne pure pour lobtention de performances maximum. Ce nest que croisée convenablement que la race manifeste pleinement son potentiel économique. De surplus, comme jusquici aucune sélection na été faite dans le pays dorigine, on ne peut se procurer demblée des reines des meilleures lignées. Mais sans aucun doute, en raison des grands progrès en train de saccomplir en Turquie, les chances pourraient augmenter dobtenir du matériel délevage sélectionné.
Tandis que javais la bonne fortune de découvrir en Anatolie centrale une race dabeilles dune valeur économique éminente, mes deux voyages en Asie furent accompagnés de vicissitudes et de difficultés sans nom. Je fus aussi contraint dabréger mon programme de 1962 à la suite dun accident. Tandis que je roulais aux abords du lac dEgridir un pneu éclata bien que jeusse monté des pneus spécialement renforcés en vue de pareille éventualité. La voiture fut emportée au bas dun haut talus et se renversa sur un tas de caillasses. Heureusement le dommage nétait que superficiel. Des secours arrivèrent ; la voiture fut ramenée sur la route et nous pûmes poursuivre jusquau prochain village. Pour une réparation plus complète, je dus attendre davoir atteint Salonique quelques semaines plus tard.
Je voudrais exprimer mes remerciements au Ministère de lAgriculture pour son aide, ainsi quaux deux officiers M. Sevki AKALIN qui maccompagna en 1954 et M. KARAMAN qui fit de même en 1962. Je souhaiterais également exprimer mes sincères remerciements à lAmbassade Britannique, de même quà lAmbassade dAmérique pour laide précieuse fournie.
BA 29(6) 1965 p150-152
Après avoir terminé ma tâche en Asie Mineure, au mieux de mes possibilités, je poursuivis via Edirne et Kavalla vers Salonique. Je profitai de loccasion pour reprendre lexploration de la partie grecque de la Macédoine.
Cest en 1952 que javais expédié le premier lot de reines grecques en Angleterre. Grâce à lAmerican Farm Institute, je pus men procurer un nouvel assortiment en provenance de la péninsule de Chalcidique. Le premier contingent importé en 1952 nous avait donné des résultats extrêmement bons et, au cours des ans, mon appréciation du début touchant la valeur de cette race est restée vive. De fait, je la considère comme lune des races les plus précieuses que nous ayons. Je fus donc enchanté davoir loccasion de me refournir en matériel délevage.
En 1952, lors de mes recherches en Grèce et dans le Péloponnèse, jy avais inclus une visite en Crète. Déjà alors, je métais rendu compte de ce que mon enquête naurait pas été complète si je nexplorais pas quelques-unes des îles Egées. La mer Egée comporte 483 îles et il était clair, demblée, que je ne pourrais en visiter que quelques-unes.
Mon premier objectif était lîle dIos, à peu près au centre dun groupe connu sous le nom de Cyclades. Il paraissait bien probable que les abeilles des autres îles naccuseraient pas de différence substantielle.
Lîle dIos, environ 120 km2, compte environ 7000 habitants. Lors de ma visite, la population, en abeilles, représentait quelque 3000 colonies, dont 550 en ruches modernes. Ios est très montagneux, et toutes les ruches étaient à la bruyère, sur les hauteurs. Comme il ny a pas de routes, il nous fallut enfourcher bourricots ou mulets, seul moyen de transport, une façon lente et pénible de se déplacer. Cest cependant ainsi que sont véhiculées les ruches, tant modernes que primitives. Un mulet porte quatre ruches primitives ; lapiculteur déambulant derrière, à pied, avec une ruche sur lépaule et une autre ficelée au dos. Ces pauvres gens des îles ne regardent pas à leffort, et on nimaginerait pas un mode de transport plus ardu.
Notre groupe se composait de neuf personnes et, presque tout le long du trajet, il nous fallut aller en file indienne sur nos montures sur la piste traîtresse. Au lever du jour, je notai dabord une végétation subtropicale très variée, puis plus haut, ce fut de plus en plus de la bruyère. Bien que lErica verticillata fût fort répandue, je pus observer dautres variétés que je ne connaissais pas jusque là. Graduellement nous repérions de-ci de-là un groupe de ruches, abritées dans un creux ou quune anfractuosité de roc masquait du vent, sans que jamais il ny en eût plus de 10 à 20 ensemble.
Les abeilles, ici, appartiennent à la même race que celle de Grèce continentale. Fort curieusement, je pus observer le même phénomène constaté en Crète, à savoir, à loccasion, une colonie dotée dune propension à piquer à légal de celles de certaines races dOrient. La majorité des colonies avait bon caractère à tout point de vue, autant que celles du continent, chez qui je navais jamais rencontré dexemple de cette irritabilité extrême. Ces manifestations isolées du pire caractère sexpliquent difficilement, vu quaucun signe nautorisait à lattribuer à une importation du Proche Orient.
Au retour, je ne marrêtai à Athènes que brièvement, jusquà ce que le Ministère de lAgriculture ait fait le nécessaire en vue de ma visite à Samos. Cette île est célèbre à plus dun titre, peut-être surtout pour son muscat. Très fertile, elle sétend sur quelque 460 km2 et compte 67 500 habitants, elle possède 4855 colonies dabeilles, dont 3480 en ruches primitives. Lîle suivante par ordre de grandeur, Ikaria, bien que de moitié plus petite, possède 8240 colonies, daprès les chiffres que me fournit le Directeur de lAgriculture lors de ma visite. Tant Samos quIkaria sont sous juridiction du Directeur de Vathy Samos.
Sur la base de ces données, la densité en colonies à Ikaria est de plus de 35 colonies par km2, probablement la plus forte qui existe au monde. Thasos, au nord de lEgée, plus grande dun tiers, possède 10 000 colonies et est souvent appelée lîle aux abeilles. Dans lune et lautre île, le miel, principalement de miellat provient dun pin, Pinus halepensis. Néanmoins à Ikaria, Erica verticillata intervient à peu près dans la même mesure. Pour autant que jaie pu men assurer, Ikaria et Thasos, avec la Chalcidique, cette péninsule à la côte Nord de lEgée, sont les centres les plus importants de lapiculture en Grèce, et les régions où la production de miel constitue le seul gagne-pain de nombreux apiculteurs.
Les abeilles de Samos et dIkaria paraissent être de race anatolienne occidentale. A peine 1,5 km sépare le point le plus rapproché de Samos du littoral dAsie Mineure, et moins de 20 km séparent Samos dIkaria.
Quand donc je quittai la grand-route, mes pensées étaient tournées vers le passé. Mais avant darriver à Philippi, mon attention fut attirée par un immense entassement de ruches tressées, une superposition de couches alignées. Jen comptai 400, mais il y en avait bien plus. Leur disposition régulière témoignait du savoir-faire dun apiculteur fier de son état. Les ruches étaient toutes du même modèle et dune capacité énorme. Ce rucher était luvre dun apiculteur particulièrement compétent disposant dabeilles prolifiques au-delà de la normale.
Capacité mise à part, ces ruches présentaient une autre particularité : les éléments verticaux des corbeilles tressées, dépassaient de 5 bons cm dans le bas, permettant ainsi aux abeilles dentrer et de sortir ad libitum dans nimporte quelle direction, fournissant en outre une ventilation dépassant de loin ce qui est généralement jugé nécessaire. La chose était dautant plus frappante quhabituellement les apiculteurs, en Grèce, tiennent lentrée de leurs ruches bien plus étroite que nous ne le faisons généralement ici en Angleterre.
Jappris que ces ruches venaient de lîle de Thasos. On les amenait ici à cette saison de lannée où il ny avait rien à récolter dans lîle, alors quil y avait de quoi trouver sa subsistance sur le Continent. La grande quantité de ruches sur un seul emplacement, leur excellent état et la capacité exceptionnelle étaient suggestives de la nature des abeilles et de lapiculture dans cette île : jétais informé maintenant là-dessus.
Ces détails permettent dapprécier combien lapiculture, dans les îles de lEgée, constitue un facteur économique de première importance. Bien que, dans certaines îles, les abeilles, en somme, ne présentent pas de valeur particulière en vue de lélevage, leur valeur économique et de production ne fait pas de doute. Nul ne pourrait trouver son gagne-pain avec des abeilles de qualité inférieure, avant tout ici où lapiculture primitive est la règle plutôt que lexception.
BA 29(10) 1965 p241-243
Il est généralement reconnu que les formes les plus typiques de A. mellifera carnica se trouvent en Haute Carinthie et dans les deux provinces joignantes de Carinthie et de Styrie. Dans les pays de langue anglaise, cette race est communément dite carniolienne du fait que les premières importations, jusquà 1940, provenaient de la Haute Carniole. Cependant la distribution géographique de la race dépasse largement les trois provinces citées et, comme nous le savons maintenant, sétend à toute la Yougoslavie, la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie et la plus grande partie de lAutriche. Mais on manque de détails précis. Labeille grecque, A. mellifera cecropia, est sans aucun doute une sous variété de la carnica. Daspect, les deux races ne diffèrent pas, mais il y a divergence marquée dans leurs caractères physiologiques. Pour autant que jaie pu men assurer, les abeilles du Nord de la Grèce, surtout celles de la péninsule de Chalcidique et de la bande étroite entre lEgée et la chaîne du Rhodope comprenant la Thrace tant grecque que turque, doivent leur supériorité à une influence dépendant de labeille anatolienne. Jusquoù linfluence anatolienne va en Bulgarie, dans la plaine de la Maritza, nous ne le savons pas. Il y a forcément des variations importantes plus nous nous éloignons des centres principaux dhabitat de la carnica. En réalité, même dans les limites de la Yougoslavie des variations considérables peuvent être notées, bien quextérieurement les abeilles ne diffèrent que peu ou prou de la carnica dans lacception générale.
Au cours dune longue tournée en Bosnie, Herzégovine, Monténégro et en Serbie du sud-ouest, jai trouvé des abeilles de ces régions plus prolifiques et moins essaimeuses que la vraie carnica. Par contre, la tendance à propoliser est plus marquée, ainsi que, semble-t-il, celle à subir les atteintes du Nosema. Et même, ce dernier trait est si accusé que nous ne pourrions rien faire de ces lignées, chez nous, en Angleterre.
Il est fait état, ici et là dans la littérature apicole, dune sous variété de la carnica trouvée dans le Banat une région située là où convergent les frontières yougoslave, hongroise et roumaine. Cette abeille a attiré lattention, il y a déjà plus dun siècle. Néanmoins, à men référer à tout ce que jai été capable de déceler, cela se borne uniquement à des affirmations touchant lexistence de la dite race, tout détail relatif à ses caractéristiques et à sa valeur économique méchappant jusquici. Que cette abeille du Banat ait attiré lattention il y a plus de cent ans paraissait justifier de plus amples investigations !
Le Banat, situé au sud-est de la frontière hongroise, actuelle, est compris entre le Danube au Sud, le Moros au Nord, la Theiss à lOuest et les Alpes de Transylvanie à lEst. Il a cessé dêtre une entité unique : un tiers est devenu yougoslave et le reste appartient à la Roumanie.
Souvent, javais entendu parler des vastes forêts dacacias de cette région et tandis que je remontais au Nord depuis Skopje, mon regard ne rencontrait que robiniers en fleur. Si bien quen arrivant à Belgrade je ne fus pas surpris de découvrir que les ruches avaient été déménagées vers lEst, aux frontières de la Roumanie. La route vers ces forêts avait de quoi désespérer tout automobiliste et, plus dune fois, il parut que nos efforts pour arriver à notre but seraient vains. Il nous arrivait de passer des monticules de terre qui, jadis, marquèrent la limite entre les empires chrétien et musulman. Ces vastes forêts dacacias sont localisées là où un sol pauvre, sablonneux, ne pourrait servir à rien de bien autrement. Marie-Thérèse en avait fait faire la plantation; cétait une des rares essences susceptibles dy prospérer. Les apiculteurs, maintenant, bénéficient de laubaine quils doivent à limpératrice.
Dès notre arrivée, je pus examiner les ruches à loisir. Comme elles regorgeaient de miel, ce nétait pas facile, bien, que la remarquable docilité des abeilles permit de travailler sans voile. Lélevage avait été fortement restreint par labondance des rentrées et je ne pus noter aucun signe dessaimage. Tout de suite une chose me frappa : labeille du Banat est beaucoup plus fortement colorée sur les trois premiers segments dorsaux que ce que javais jusquici pu observer chez nimporte quelle lignée de carnica. La couleur nest pas ce jaune clair de lItalienne, mais un jaune tanné ou brun rouille que lon a coutume dassocier à la race primaire. Toutefois, chez la vraie carnica, le brun rouille ne ressort quoccasionnellement et jamais aussi marqué que chez la banate. Il y a du reste pas mal de diversité chez la banate et parfois la couleur pourrait se dire jaune. Le scutellum des ouvrières varie du jaune au brun; le pelage est brun clair et les tomenta gris avec une touche de jaune.
Nous ignorons lorigine de cette variété. Comme déjà mentionné, on disait la banate une race distincte, et ce bien avant que naient lieu sur une grande échelle des échanges de reines entre régions fort distantes lune de lautre. De fait la ruche moderne venait tout juste dêtre inventée et jusque là tout échange de reines était pratiquement impossible. Les immigrants de Marie-Thérèse provenaient de parties de lEurope où seule labeille noire était connue. Cette abeille semble avoir été, de quelque façon quon regarde les choses, une bizarrerie de la Nature, due au hasard qui a fait une combinaison où interviennent des facteurs constitutifs du façonnement génétique de la carnica. Ce sont ceux-ci qui se manifestent par spasmes dans la coloration brun rouille qui donne tant de souci aux éleveurs de notre temps, à la poursuite de luniformité parfaite. Le fait que cette abeille ait été capable daffirmer et de maintenir son individualité distinctive au cur même de lhabitat de cette autre race qui lui est apparentée, est certes un phénomène remarquable.
Couleur mise à part, nous navons pas dinformation précise jusquici touchant les caractères en quoi cette variété diffère de Banat mais le temps nous a manqué pour tirer des conclusions au sujet des mérites respectifs de cette sous variété et de la carnica que nous connaissons, lune par rapport à lautre.
Il me faut exprimer ma gratitude au président et au secrétaire de lAssociation des Apiculteurs Yougoslaves, dont laide ma permis de réaliser cette partie de mes recherches.
Quittant Belgrade pour lAngleterre, jy arrivai vers la fin de juin, à temps pour me permettre de participer aux principaux travaux de la saison. Me laissant du temps pour compléter les derniers préparatifs du voyage en Egypte, prévu pour lautomne.
Extrait de La Belgique Apicole, 28 & 29 1964-65 Avec leur permission. Original dans Deutsche Bienenzeitung et le Bee World |
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par le Frère ADAM, O.S.B. de lAbbaye St Mary de Buckfast, Angleterre Traduction et adaptation française par Georges LEDENT Uccle, Belgique |