Publié en français dans
La Belgique Apicole, 25(11) 1961, p300-302. avec leur permission. Original in the Bee World, 42, may 1961. |
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par le Frère ADAM, O.S.B. Abbaye St Mary, Buckfast, South Devon - Angleterre. Traduction et adaptation française par Georges LEDENT Uccle, Belgique |
En entrant en Espagne, jambitionnais dexplorer aussi bien que possible le coin nord-est de la péninsule avant de pousser vers Madrid. La province de Catalogne, à la flore variée et au climat relativement humide, est une bonne région pour lapiculture. La ruche de Layens, française dorigine y est fort communément en usage. Cette ruche ne comporte pas de hausse. La vaste chambre à couvain, tenant quatorze cadres de 35x30 cm offre la capacité pour le couvain et les provisions. Cest une construction en forme darmoire, à toit plat que des charnières relient au corps : les deux bouts de celui-ci sont munis de poignées métalliques. Le grand avantage est la facilité du transport de première importance là où lapiculture pastorale est de règle. Ceci vaut pour une bonne partie du pays près de la Méditerranée. Après que romarins et orangers aient fini de fleurir, les ruches sont transportées dans les régions plus hautes du plateau central où, en juin et juillet, abondent le thym et aussi la lavande et, de-ci de-là, le sainfoin. Le romarin donne une petite deuxième miellée à fin septembre, le long de la côte. Alors que je passais par le sud de Narbonne quelques jours plus tôt, par le célèbre district de Corbières, je notai que le romarin allait précisément se remettre à fleurir. En Catalogne, la production moyenne de miel de surplus est de lordre de 25 kg par ruche.
Selon les sources les meilleures, il y a environ un million deux cent mille ruches dabeilles en Espagne, dont un tiers de construction primitive. Mais le nombre réel pourrait dépasser de loin ce nombre. Le Portugal, dont la superficie ne représente que 15 % de la péninsule ibérique, a un total de 473 642 colonies, dont 111 924 en ruches modernes. La densité relative par km2 est, par suite, approximativement de 5,36 par km2 pour le Portugal est de 2,53 pour lEspagne. La signification de ces chiffres ressort mieux en les rapprochant de la moyenne de 1,5 pour lAngleterre et le Pays de Galles où il y a actuellement 219 545 colonies.
Dans les deux pays, la ruche Langstroth est une des plus répandues. De fait, le catalogue de la plus grosse maison de matériel dEspagne noffre que la Colmena Perfection (Langstroth) et la « de Layens ». Il nest pas fait usage de hausses à cadres bas mais uniquement de corps complets Langstroth en tant que hausses. Deux firmes se sont spécialisées dans la fabrication de cire gaufrée.
Lapiculture primitive reste bien ancrée, et à juste titre, tant en Espagne quau Portugal. A León et Orense, je suis tombé sur des ruches en tronc darbre et, en Castille, sur certaines en clayonnage, avec lhabituel recouvrement dargile. Néanmoins, le liège constitue le matériau usuel dans lequel sont construites les ruches primitives de cette partie du monde. Les vastes forêts de chênes liège fournissent un matériau idéal à cette destination, particulièrement en ce quil est un excellent isolant. Le liège, en outre, ne coûte pour ainsi dire rien et la confection ne demande ni peine ni adresse spéciale. Une feuille de liège, détachée de larbre et à laquelle on laisse reprendre sa forme naturelle, et quelques épines de bois de ciste enfoncées au raccord vertical, et le corps est assemblé. Un morceau de liège posé à plat coiffe le cylindre, formant toit, et la ruche est prête à lusage. Cest bien moins compliqué que de faire une ruche en vannerie ou en paille tressée. Columelle nous dit quà lépoque romaine on occupait les loisirs des esclaves à confectionner des ruches en liège.
Le diamètre des ruches en liège varie quelque peu. Il est dordinaire denviron 25 cm. La hauteur est denviron 45 cm. Ces ruches sont utilisées invariablement en position verticale jamais horizontalement ou empilées suivant lhabitude sicilienne ou dans le Moyen-Orient et généralement en grand nombre. Il nest pas rare den trouver une centaine et plus, alignées ou lune derrière lautre, en un seul endroit. De fait, ces apiculteurs à lancienne mode ont un dicton : « De cien uno y de una cien », signifiant : « Hors de cent, une et hors dune, cent », qui est une allusion au caractère transitoire des colonies dans les mauvaises années et à leur multiplication magique quand lannée est bonne et les circonstances favorables.
Il peut surprendre, peut-être, dapprendre quen Espagne et au Portugal lapiculture est pratiquée sur une aussi large échelle quailleurs en Europe. De fait, avec une densité moyenne denviron 2,9 colonies par km2, lapiculture doit forcément jouer un rôle important dans léconomie nationale. Il nexiste cependant pas dapiculture intensive telle que nous la connaissons. Ici, on laisse aller comme cela va : aucun effort nest fait pour améliorer la race. Des reines italiennes sont importées de-ci de-là. Il ny a virtuellement pas délevage de reines. Les apiculteurs commerciaux sen remettent au système pastoral pour faire recette. Cependant de gros apiculteurs commerciaux sont souvent trouvés aux endroits les plus inattendus. Jen ai rencontré un, entre Zamora et Salamanque, qui avait 800 colonies. Près de Séville, il y a une vieille entreprise familiale avec 2000 colonies, disposant dune installation demballage comme il ny en a pas de meilleure en Europe Septentrionale. Cette firme conditionne son miel en bocaux fort jolis, ornementés, de grandeur et de dessins différents.
Dans toute létendue de lEspagne, lapiculture est du ressort du Service Vétérinaire. Elle est généralement représentée dans les stations agricoles provinciales. On lenseigne également dans les grands instituts agricoles. Jen ai visité un certain nombre. Lun dans le Sud, près du cap Trafalgar, ne comporte pas moins de 27 km2 et on y enseigne toutes les branches de lagriculture, y compris lapiculture. Un autre Institut, près de Zamora, dans le nord-ouest, ma paru avoir un développement similaire. Il sagit là dorganismes privés, non étatiques. Jai toujours gardé limpression que les autorités espagnoles ne sintéressent guère à pousser lapiculture. Un mouvement a cependant été mis sur pied en vue de constituer un Institut National de Recherche Apicole mais il reste à voir sil sortira quelque chose de ce projet. Bien sûr, il est lamentable que lapiculture ne reçoive pas lappui souhaitable, car un grand pas en avant pourrait certainement être fait dans tous les domaines.
Les conditions au Portugal sont, à ce point de vue, quelque peu différentes. La précision des statistiques sur le nombre de colonies dans ce pays fait augurer que lapiculture y est lobjet de plus de sollicitude. Sr Vasco CORREIA PAIXAO est conseiller technique pour lapiculture au Ministère de lAgriculture. Il a aussi la fonction de Posto central de Fomento apicola. Jai noté de multiples manifestations pratiques du zèle avec lequel le Ministère vient en aide à lapiculture. LUniversité dOporto a publié une étude approfondie sur lanalyse des pollens des miels portugais (Martins dALTE, 1951).
Il paraît fort surprenant quon nait pas tenté jusquici de revue ou détude approfondie sur les abeilles de la Péninsule Ibérique. Jai déjà exposé que, très vraisemblablement, cest de cette souche que proviennent toutes les races foncées dApis mellifera, et quà son tour cette abeille descend de la Tellienne. Lhypothèse selon laquelle lorigine aurait été orientée à la fois vers le sud et vers le nord, est insoutenable en raison de ce que cest labeille tellienne qui possède au plus haut point, concentrés en elle, les caractères que manifestent les nombreuses sous-variétés.
Comme labeille se soucie fort peu de frontières politiques ou nationales, il paraît à peine correct de parler dune abeille espagnole ou portugaise. Il nest pas davantage question de diversifier plusieurs races, vu quil nexiste pas de barrières montagneuses pouvant isoler un secteur de la Péninsule de lautre et ainsi donner lieu au développement de races distinctes. Par contre, il y a diverses lignées distinctes, selon toute vraisemblance en raison de conditions géographiques et de climat différant de façon marquée dans la Péninsule. Mais il y a lieu de mettre laccent sur le fait que ces différences ne sont jamais plus que dans le degré dintensité dans les caractères basiques. Autant il serait erroné dattendre quelque chose qui nest pas présent dans le prototype, autant il le serait de supposer que des facteurs géographiques ou climatériques nexercent pas un effet sélectif sur les caractères basiques, spécialement chez un être aussi sensible aux influences que labeille.
Luis MENDEZ de PORRES, dans son traité dapiculture, publié par lui à Alcala de Henares en 1586, parle de la grande diversité en taille, tempérament et couleur des abeilles de son époque. Cest certainement encore vrai maintenant. Mais la grande diversité ne se borne pas à la taille, à laspect et au tempérament. Elle sétend à toutes les qualités sur lesquelles se base le rendement. Dans lensemble, labeille ibérique est noire comme jais et ce noir est souvent accentué par le peu de développement des tomenta et de la toison. Nulle part je nai pu trouver dabeilles que lon puisse dire jaunes, sauf de récentes importations. Néanmoins, jai observé de-ci de-là des marques jaune clair, restreintes à la zone où les trois premiers segments dorsaux joignent les plaques ventrales, tout comme noté occasionnellement chez la Tellienne en Afrique du Nord. Les reines sont noires et de couleur très uniforme. Elles sont rapides dans leurs mouvements et plutôt nerveuses. Elles sont prolifiques, mais leur fécondité est largement contrôlée par la présence de « pour faire » ou son absence. En dautres termes, pas de ponte excessive par temps de disette, ce qui arrive facilement à litalienne. Par contre, fécondité appropriée et à plein lorsque les conditions sont là. Une flexibilité de cet ordre est essentielle en présence des conditions climatériques ambiantes. Les colonies peuvent se développer en populations énormes quand les conditions sont bonnes et la valeur économique de telles colonies est ici sauvegardée par la modération en fait dessaimage. Lextrême tendance à essaimer de la Tellienne est sa condamnation, du point de vue de lapiculteur praticien. Labeille ibérique a en commun avec la Tellienne et ce en pleine mesure, sa robustesse extraordinaire. Elle est active et pas pour rien à des températures où dautres abeilles ne mettraient pas le nez dehors. Elle a aussi pleinement en partage la sensibilité aux maladies du couvain. Le recours généreux à la propolis est un des traits les plus indésirables de labeille ibérique. Cependant, on peut trouver des lignées ne manifestant pas cette propension. Pour ce qui est de lhumeur, les abeilles de lEspagne du nord-est et du pied des Pyrénées semblent plus irritables que dans le reste du pays. Mais jai rencontré des colonies sérieusement méchantes en des endroits très dispersés, par exemple au Sud de Malaga et aussi bien au Nord de Lisbonne. Dans lensemble, les abeilles ibériques ne sont certainement pas daussi bonne composition que les italiennes, mais nont rien de comparable à lagressivité de beaucoup dabeilles de France.
Ces observations sont basées sur ce que jai vu durant mon séjour en Espagne et au Portugal et sur mon expérience à Buckfast se bornant à la saison 1960. Lété sétant avéré un raté complet, dès juin et jusquà la fin de la saison, il na pas été possible de réunir de résultats comparatifs quant à la capacité de récolte de labeille espagnole pure ou de lmétis de premier croisement. Il aurait fallu pour cela opérer sur une série de saisons avant dobtenir des résultats solides. Je ne serais cependant pas fort surpris que labeille espagnole ne se hisse au niveau de labeille française, dont il a été démontré par lexpérience quelle est la plus remarquable productrice de miel de toutes les races européennes.
Jai déjà mentionné la sensibilité aux maladies du couvain, défaut commun à presque toutes les variétés de labeille noire commune dEurope. Toutes ces variétés partagent aussi caractéristiquement une sensibilité à lacariose qui se trouve chez la Tellienne, lancêtre commun, dont elles descendent. Lacariose sévit fort dans toute la Péninsule et en particulier le long de la Méditerranée et en Andalousie. De fait, il ma été dit que les pertes étaient si fortes quelles ont causé une baisse du nombre des colonies en Espagne. Les autorités sont arrivées à la conclusion que les traitements nont guère dutilité, et que la seule solution à longue échéance serait de développer une abeille résistante. Des expériences en ce sens sont en cours à Malaga.
En me mettant en route pour lEspagne, javais le ferme espoir davoir loccasion de visiter cette grotte unique près de Bicorp, à quelque 80 km au sud-ouest de Valence où se trouvent les fameuses peintures. Ces peintures sur la roche, dans la Cueva de la Arana, représentent un homme, sur une paroi rocheuse, récoltant du miel dune cavité. Cest le monument le plus ancien, de son espèce, ayant trait à lapiculture : on estime quil remonte à entre 8 000 et 10 000 ans suivant les avis. Il a été peint selon toute probabilité en un temps où la plus grande partie de lEurope au nord des Pyrénées et des Alpes subissait encore la dernière étreinte attardée de la période glaciaire.
Nous quittâmes Valence de bon matin, mais dautres occupations nous empêchèrent darriver à Bicorp avant quatre heures de laprès-midi, pour nous entendre dire que la caverne était à une bonne heure de là et quon ne pouvait y aller quà pied. Nous ne disposions pas du temps nécessaire, devant être le soir à Alicante, ce qui nous faisait encore une fameuse trotte. A notre vif désappointement, force nous fut de repartir sans avoir vu les peintures.
Durant la première partie de notre voyage, nous dûmes nous accommoder de chaleurs extrêmes. Je noublierai jamais la journée passée à Murcie, au cours de laquelle même mes compagnons, cependant habitués aux hautes températures, trouvèrent la chaleur presque intenable. Sur la fin, ce furent de fortes pluies qui rendirent lavance pénible dans le nord du Portugal. Le froid ne nous épargna pas non plus : nous en avions à peine fini dinspecter le tout dernier rucher, sur une saillie dune montagne presque verticale dominant Colvilha quil nous fallut prendre les jambes au cou pour nous abriter dune tempête de grêle. Le matin suivant, sur le chemin de retour depuis Guardia, cétait nettement hivernal. Grâce à la détermination dont firent preuve mes assistants, nous en finîmes fort à propos.
Je voudrais profiter de loccasion pour exprimer ma gratitude pour laide fournie par les Ministères de lAgriculture à Madrid et à Lisbonne. Je suis particulièrement obligé à Sr A.G. de VINESA, Sr J.M. SEPULVEDA et Sr Vasco CORREIA PAIXAO. Ce dernier eut la tâche la plus difficile, peut-être, quil remplit néanmoins avec autant de patience que de persévérance. Je désire aussi exprimer mes remerciements aux nombreux apiculteurs espagnols et portugais qui, si généreusement, mabandonnèrent les reines nécessaires à la poursuite dexamens et délevages ultérieurs.
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La Belgique Apicole, 25(11), 1961, p300-302. avec leur permission. Original in the Bee World, 42, may 1961. |
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