Frère ADAM à Soltau

Extrait de La Belgique Apicole ,
35(6), 1971, p 139-141
avec leur permission
[Retour à la Biblio] Rapport & adaptation par Georges LEDENT (Belgique)

Le 29 décembre 1970, se tenait à Soltau, pour la 5e année consécutive, cette assemblée des apiculteurs professionnels allemands qui présente, chaque fois, un intérêt tout particulier. L'assistance, quelque 600 personnes cette année, est composée de gens de métier et ne se compare, en Europe, qu'à cette association d'apiculteurs " commerciaux " anglais où l'on n'a accès que si l'on justifie exploiter 40 colonies au minimum. C'est à Soltau - je l'ai en son temps rapporté ici même - qu'un participant lança ce slogan: " Qu'importe la race, c'est la masse qui compte! "

Cette année, Soltau accueillait le Frère Adam, dont le long exposé avait sans doute le tort de trop prôner "L'abeille Buckfast ", ce qui était inévitable. En effet, Frère Adam est dans l'engrenage depuis 1910, si même ce n'est qu'en 1919 qu'il reprit la direction du rucher qui devait le rendre célèbre, et son oeuvre, ses recherches, ses réussites l'autorisent à affirmer sa position.

Frère Adam savait aussi qu'il affrontait un auditoire, oserais-je dire, carniolisé à jet continu et où les non inféodés à cette évolution de l'apiculture en Allemagne suivant les directives du Professeur Ruttner, font figure de fantaisistes sinon de quasi anarchistes. D'autre part, il ne pouvait avoir oublié le malheureux sort de ses reines, dont il avait eu l'imprudence d'avancer que la race résistait à la maladie, et que les allemands avaient infectées en un minimum de temps après les avoir introduites dans un milieu tellement contaminé... que leur démonstration n'avait plus aucun sens.

Le croisement constitue la base même de tout le système du Frère Adam en élevage; chacun sait qu'il est parti d'un croisement de l'abeille la ligustica italienne brun-cuir avec l'abeille indigène anglaise ( mellifera ) foncée (1917). Pour lui, l'abeille de race pure n'est qu'un outil en vue de combinaisons où le bon est retenu et le mauvais éliminé. Le fait, maintenant incontesté parce qu'incontestable, que l'isolation des stations d'élevage était inefficace a, dit le Frère Adam, épargné à l'Allemagne les dégâts de l'élevage dans la consanguinité.

L'argumentation du Frère Adam repose sur le fait que tout, dans la nature, concourt à favoriser les croisements. Voyez l'intervention de nombreux faux-bourdons lors de la fécondation, ainsi que le fait même que celle-ci a lieu à l'air libre. En fait de rendement, si étonnant que ce soit, les records ont été obtenus par des combinaisons issues de lignées exemptes de toute manipulation d'élevage. Et Frère Adam de déclarer qu'avec fécondation au rucher même, beaucoup de résultats peuvent être atteints, à condition de ne pas opérer sur une trop petite échelle. Pour parer à tout malentendu, précisons qu'il ne faudrait pas voir là un encouragement à la pratique de l'apiculture que nous appellerons: passive (chacun comprendra).

Bien au contraire, Frère Adam, à cet endroit de son exposé, s'engage à fond dans le domaine des hybrides F1 et F2, voire F3 et F4. Nous ne tenterons pas de le suivre dans le détail; une certaine confusion nous laisse sous l'impression que cette partie avait quelque chose d'un feu d'artifice, étincelant sans doute, mais qui laisse ébloui.

L'hérédité maternelle a, dans les croisements, une influence plus marquée que celle de l'autre sexe. Chez les F1, qui prennent quelque chose pour leur rhume, le surcroît énorme de vitalité s'accompagne fréquemment d'une tendance irrésistible à l'essaimage. Celle-ci se résorbe au cours des générations suivantes rendant possibles alors des rendements maximum. Les F2 et F3 donnent des résultats dépassant ceux des races dont ils sont issus. Il arrive que le croisement entre races ou lignées douces produise des démons: on parvient à y remédier par croisement en retour sur la race d'origine (parfois). Enfin, le premier croisement n'est que rarement un succès du point de vue économique: le cas échéant, il peut décevoir fortement.

Au passage, Frère Adam a bien voulu reconnaître l'existence de quelque chose qui s'appellerait l'adaptation (au milieu). Mais aussitôt il ramène cela à rien en faisant état de ce qu'en Israël (où son abeille est commercialisée depuis un bon bout de temps) la " Buckfast " donne des rendements supérieurs de 25 livres à ceux d'abeilles acclimatées, qu'il ne décrit pas plus précisément et dont il ne nous dit pas, par exemple, s'il s'agit d'abeilles ayant été améliorées par la sélection comme les siennes.

Que l'abeille Buckfast, race artificielle, c'est entendu, convienne partout sans avoir besoin d'une adaptation aux conditions locales, bien à regret, nous ne pouvons y croire. Et les Allemands, depuis qu'ils favorisent la Carnica, reconnaissent volontiers qu'ils ont chez eux, maintenant, sous cette appellation, une abeille en passe de diverger - par adaptation - de plus en plus du type tel qu'il était au départ. Nous restons, vis-à-vis des uns comme des autres, toujours d'avis que l'amélioration de l'abeille locale constitue la solution la plus logique, parce que ne nécessitant aucune acclimatation. Il n'est d'ailleurs pas certain qu'on parvienne jamais à l'éliminer totalement là où l'on entend lui substituer une abeille étrangère dont elle s'ingéniera, indéfiniment, à venir souiller la pureté.

Cette notion de pureté vacille un peu d'ailleurs, semble-t-il, ces temps derniers. Frère Adam, qui n'hésite pas à attribuer l'essentiel des qualités de la Sklenar à l'influence de la mellifica, préfère s'en référer à des critères de coloration, d'ailleurs assez généraux, de préférence aux signes si méticuleusement définis par l'école carnioliste. Il faut dire que Böttcher ne l'avait pas attendu pour déclarer que les dits signes - et il insiste en particulier sur l'indice cubital - trompent parfois lorsqu'on examine les résultats de croisements.

Frère Adam se devait, naturellement, d'enfourcher son dada, l'élevage combiné (entre races diverses) auquel il attache une importance toute particulière pour l'apiculture dans un proche avenir. Un élevage de la carniolienne en race pure est, selon lui, un excellent point de départ pour essayer divers essais de combinaison. La nature, dit-il, viendra toujours à l'aide de celui qui procédera à ce genre d'élevage. Toutefois, il ne faut pas s'attendre à ce que tous donnent de bons résultats. D'où la nécessité de procéder à quantité d'essais poussés et à un choix parmi les reines hybrides F2, portant sur une quantité énorme de sujets - il mentionne 2 000 comme un minimum ! - dont 80 % seront éliminés immédiatement, puis encore 10 % au second contrôle. La création d'une race artificielle suivant cette méthode est une affaire qui prend sept années, un temps extraordinairement court, suivant le Frère Adam, grâce à cette sélection sur une aussi grande quantité d'individus. Pour toute autre espèce animale, il faudrait bien plus de temps.

Et cependant, ce n'est qu'à la coloration typique que Frère Adam a recours pour sélectionner. Et il signale encore qu'il peut arriver que des qualités, des défauts aussi, certainement, affectent le produit, alors qu'ils ne se trouvaient ni d'un côté ni de l'autre au départ.

Suit la conclusion: " L'élevage par combinaison englobe quantité de possibilités, mais c'est lui qui sera décisif pour toute l'apiculture de l'avenir. "

Nous avons assez nettement l'impression que l'auditoire a été sérieusement secoué mais est un peu resté sur sa faim: Frère Adam en a trop dit, et pas assez en même temps. Aussi, déjà en fin de compte-rendu dans le numéro de mars 1971 de 1'" Allgemeine Deutsche Imkerzeitung ", nous sommes prévenus que l'exposé de Frère Adam suscitera à bref délai des prises de position... qu'il sera intéressant de suivre, le cas échéant.


Extrait de La Belgique Apicole ,
35(6), 1971, p 139-141
avec leur permission
[Retour à la Biblio] Rapport & adaptation par Georges LEDENT (Belgique)