BA 25(10), 1961, p262-268
Lorsque, en 1949, fut élaboré le premier plan en vue de cette entreprise, la Péninsule Ibérique y formait un maillon important dans la chaîne des pays demandant une enquête. Ce nest cependant quen 1959 que se présenta loccasion de prospecter ce secteur contigu à la Méditerranée. La péninsule ibérique présente une importance particulière tant au point de vue pratique que scientifique, en relation avec la tâche que jai entreprise.
Le Dr. Friedrich RUTTNER (1952) relève que durant la période glaciaire qui sétend sur un million dannées, les conditions climatiques étaient telles quelles excluaient lexistence de labeille à miel de la plus grande partie de lEurope. La grande couche de glace scandinave sétendait du cap Nord jusquà une ligne, au Sud, allant de lestuaire de la Severn en Angleterre, à lest, jusquà Kiev en Russie et plus loin. Les Pyrénées et les Alpes étaient recouvertes par des glaciers et la région, sétendant plus au nord jusquà la frange de la couche de glace scandinave, consistait en une vaste toundra. Les restes fossiles, jusquici mis à jour en Europe, datent tous de la période tertiaire. Durant la période glaciaire, les abeilles européennes en furent réduites à trois lieux de refuge sur le Continent : les presquîles ibérique, apennine et balkanique. Labeille de la presquîle de lApennin, litalienne, a probablement toujours été confinée à son pays dorigine, en raison de ce que les Alpes formaient une barrière insurmontable à toute migration vers le Nord. Par contre, après la période glaciaire, labeille de la péninsule balkanique put sétendre en direction nord jusquà la barrière orientale des Alpes, et au nord-est, jusquen bordure de la Russie méridionale où il semble que sa progression ait été stoppée, non par des chaînes montagneuses, mais par de vastes steppes, sans arbres. De cela, il résulte que la repopulation de lEurope à lissue de la période glaciaire fut laffaire de labeille de la péninsule ibérique. La brèche à chacune des extrémités des Pyrénées permit une migration sans verrou ni obstacle en direction du nord. Ce retour post-glaciaire de labeille en Europe Centrale eut lieu il y a environ 7000 ans.
Etant donné que labeille noire dEurope provient de la péninsule balkanique, le Dr. RUTTNER tient quelle devrait recevoir le nom de son pays dorigine, au même titre que les deux autres variétés européennes portent le nom des pays où on les trouve maintenant sous leur forme la plus typique. Alors quil ne subsiste aucun doute que labeille européenne noire ou brune et, en fait, toutes les abeilles qui se rencontrent dans toute létendue de la Russie septentrionale remonte à la souche ibérique, il est, en retour, tout aussi certain que celle-ci, dans un passé encore plus lointain, est la descendante de labeille nord-africaine appelée communément Tellienne, soit lApis mellifera unicolor var. intermissa. Dans mon rapport, publié en 1954, javais exprimé lopinion que la Tellienne était une race primaire, et que les nombreuses variétés dabeilles brunes ou noires tout au moins celles dEurope occidentale avaient évolué au cours des temps à partir de la Tellienne. Javais signalé aussi que je navais pas eu loccasion dexplorer la péninsule ibérique mais que les variations à partir du prototype relevées dans les lignées dans le midi de la France et le nord-ouest de lEurope nétaient quune question de degré. Létroitesse de la parenté sautait aux yeux. Il était aisé de suivre le tracé de lévolution, orienté vers le nord et vers le nord-est à partir des Pyrénées. Les différences se bornaient à des nuances de degré et dintensité. Demblée, il métait clair que, bien que la péninsule ibérique nait été quun relais de poste sur la voie du développement, elle nen constituait pas moins le lien vital entre ce quon appelle labeille noire européenne et le prototype. Autant que nous le sachions, les périodes glaciaires et interglaciaires sétendirent sur une période de plus dun million dannées allant jusquà 5000 ans avant J.C. Apis mellifera var. mellifera était confinée au territoire au sud des Pyrénées. Elle y était donc virtuellement isolée de tout contact avec le continent africain et, plus complètement encore avec le reste du monde. Le détroit de Gibraltar, au plus étroit, est large de 14,5 km et on peut considérer comme certain quun essaim ne pourrait parcourir cette distance en vol. Le fort vent dest, presque constant et localisé au détroit et au voisinage immédiat rend la traversée doublement impossible à un essaim.
Ces considérations mises à part, jenvisageais de faire connaissance de plus près avec les abeilles et lapiculture dans la péninsule, étant déjà pourvu damples informations sur le trajet. Ces renseignements, je les devais à un jeune moine espagnol qui avait séjourné à Buckfast de 1926 à 1928 pour apprendre lapiculture. Il appartenait à labbaye de Valvanera dans le Nord du pays. Abeilles et apiculture se trouvent avoir été liées à cette abbaye dans le cur des apiculteurs espagnols de façon toute particulière en ce que la Vierge de Valvanera est considérée comme la protectrice des apiculteurs dans toute lEspagne. Ce jeune moine, avec dix-huit membres de cette communauté, fut hélas tué en automne 1936 au cours de la guerre civile.
Jarrivai en Espagne au début de septembre 1959. Entré par lextrémité méditerranéenne des Pyrénées, je la quittai deux mois plus tard par lextrémité atlantique, via Irun. Durant mon séjour, javais parcouru non moins de 10 500 km en voiture. Mon enquête me conduisit de Gerone à lextrémité nord-est jusquà Lagos à lextrême sud-ouest, et de Tarifa, le point le plus méridional, à Coruña dans le coin nord-ouest. Je dus à la générosité, tant des apiculteurs espagnols que portugais, de me procurer des reines de chaque secteur de la péninsule, ainsi que des échantillons dabeilles en nombre encore plus grand, en vue détudes biométriques par le département apicole de Rothamsted.
Señor A.G. de VINUESA, qui publie Apicultura, et Sr J.M. SEPULVEDA, lun et lautre médecins vétérinaires, maccompagnèrent en Espagne. Au Portugal, le Ministère de lAgriculture désigna Sr V. CORRELA, son conseiller technique en apiculture, pour massister. On dit souvent que le temps ne tire pas à conséquence pour les peuples méridionaux, quils ont un penchant, pardonnable, à reporter tout ce quil est possible au lendemain. Il nen allait certainement pas ainsi des trois personnages en question. De fait, il me fallut souvent faire un gros effort pour tenir, face à leur énergie et à leur détermination. De jour, pas de temps perdu, et souvent lon roulait de longues heures la nuit.
La péninsule ibérique est un monde en soi, de multiples manières. Elle est coupée du reste de lEurope par une puissante barrière montagneuse, difficile à passer sauf à ses extrémités. Cest aussi un pays de violents contrastes. Le sud-est et le nord-ouest possèdent des chaînes de montagnes à léchelle des Alpes, dépassant la ligne des neiges. Parmi ces montagnes se nichent de riches et charmantes vallées.
Par contraste, la grande plaine centrale ou Meseta, à laltitude moyenne de 600 m, présente une étendue énorme dune désolante uniformité avec des températures extrêmes fournaise en été et glacière en hiver. Le bord Est, le long de la Méditerranée, jouit dun climat égal, dépourvu dhiver au sens propre du terme. Le long de la côte ouest, au nord de Lagos, à Coruña, les vents lourds dhumidité de lAtlantique pénètrent en profondeur à lintérieur des terres auxquelles ils confèrent une extrême fertilité. LEspagne méridionale, surtout lAndalousie, et le Portugal, ont des hivers chauds et des étés torrides. La distribution des pluies et leur caractère présentent des contrastes aussi accusés, que le pays lui-même. Le nord-ouest de la péninsule a des précipitations moyennes de 710 mm et plus, avec 1776 mm à St Jacques de Compostelle ce qui équivaut à ce que nous avons à Buckfast et 30,5 mm et moins dans le sud-est de lEspagne, mais 901 mm dans la région de Gibraltar. Les pluies, dans le nord-ouest, rappellent en type et intensité ce que nous avons en Angleterre. Le jour où nous étions à Vigo et, quelques semaines plus tard, dans le nord du Portugal, nous recevions une pluie en tout point aussi persistante et torrentielle que ce à quoi le Devon nous a accoutumé. Dans les parties arides dEspagne, les pluies sont réservées à lautomne et à lhiver mais sont spasmodiques et très incertaines. Puis surviennent de courtes et violentes averses qui, souvent, semblent tomber dun ciel serein. Des averses de ce genre ne peuvent pénétrer la dure croûte du sol et nont guère pour effet que demporter ce quil peut y avoir de couche fertile superficielle. Lorsque la pluie vient à manquer, ce qui narrive que trop fréquemment, la misère est à la porte.
En raison de lextraordinaire variété en fait de climat, altitude, exposition et sol, la péninsule ibérique est plus riche en espèces de plantes que tout autre secteur en Europe.
Les arbres les plus typiques des régions arides sont les deux espèces de chênes, le chêne vert persistant (Quercus ilex) et le chêne liège (Quercus suber) et, naturellement, le caroubier (Ceratonia siliqua). Dans la Meseta, souvent les grands-routes sont bordées de Robinia pseudoacacia qui est à peu près le seul arbre quon y voie. La végétation prédominante de la Meseta et des zones pierreuses non cultivées, dont il y a partout dimmenses étendues, est faite de buissons rabougris, de plantes herbacées à feuillage vert persistant des familles des Cistacées et Labiées. Parmi ces dernières, le thym, la lavande, la sauge et le romarin sont les grandes pourvoyeuses de nectar dans la péninsule. La bruyère et le genêt, le genêt dEspagne (Spartium junceum) sont extrêmement abondants en Galice dans lhumide nord-ouest, ainsi que beaucoup despèces dErica . De fait, il y a de grandes étendues de marécages dans la région montagneuse suivant une ligne dirigée vers le nord-ouest, de Bragance à Bilbao. La Calluna vulgaris semble néanmoins beaucoup plus répandue dans les parages montagneux de lEspagne septentrionale et dans les régions boisées de ce secteur. Je suis tombé sur la première bruyère en fleur dans des taillis entre Almazan et Soria, puis, le lendemain, ce furent des étendues beaucoup plus larges, en route pour Logrofio. On en trouve également de façon répandue, en particulier dans le sud du Portugal, sous le couvert des chênes-lièges. Ici, la bruyère fleurit sensiblement plus tard quen Europe septentrionale, et elle nest pas rabougrie, noueuse comme chez nous ; son port est élevé et les épis floraux forment des jets allongés. Un nombre infini, semble-t-il, de bruyères Erica peut être repéré dans toute létendue de la péninsule. La sorte la plus commune est la bruyère dEspagne (Erica australis), la portugaise (E. lusitania), puis E. arborea alpina, une espèce indigène des montagnes espagnoles, E. umbellata et E. scoparia.
Leucalyptus est fort commun en Andalousie et en partie au Portugal. Dans la province de Huelva, jen ai noté de grandes plantations datant de nombreuses années. Deux des espèces les plus répandues sont Eucalyptus globulus, fleurissant en novembre décembre, et E. rostrata qui fleurit de mi-juin à mi-juillet. Ce dernier ne donne du nectar que le soir et tôt le matin. Les grands bocages dorangers se confinent à une zone relativement restreinte, au sud et au nord de Valence et à louest de Séville. La châtaigne dEspagne (Castanea sativa) se rencontre en grande abondance dans le nord du Portugal, dans la zone entre Braga, Vila Real et Bragance. Le trèfle blanc (Trifolium repens), bien que commun dans le nord-ouest de lEspagne, nest pas considéré comme source de nectar. En Andalousie, de vastes étendues de coton (Gossypium herbageum) sont cultivées, mais les pulvérisations empoisonnées causent souvent de lourdes pertes en abeilles.
Il est clair que la péninsule ibérique jouit dune surabondance darbres, ainsi que de buissons et de plantes, donnant du nectar, dont les plus importants sont sans aucun doute loranger, le romarin, la lavande, le thym, la bruyère et les divers Erica, Eucalyptus et, peut-être, le caroubier.
Tous ces détails peuvent paraître superflus, à côté de lobjectif principal de mes recherches. Néanmoins, quil me soit permis de mettre laccent sur le fait quun des buts fondamentaux dun voyage comme celui-ci consiste à obtenir une connaissance intime de lhistoire et de lorigine dune race dabeilles, ainsi que des à-côtés et des influences qui ont joué dans la formation et le développement dune race et dune lignée particulière. Rappelons que lhabitat où sest, au cours des ans, formé et modelé un organisme est en relation étroite avec les caractères dont il est affecté. En réalité, les caractères propres dun organisme reflètent souvent les influences particulières de son habitat, et il nexiste peut-être pas dorganisme chez lequel il nen soit autant ainsi que chez labeille. Dans la nature, labeille est absolument à la merci de son milieu, et elle doit ou bien sadapter ou bien périr.
BA 25(11), 1961, p300-302
En entrant en Espagne, jambitionnais dexplorer aussi bien que possible le coin nord-est de la péninsule avant de pousser vers Madrid. La province de Catalogne, à la flore variée et au climat relativement humide, est une bonne région pour lapiculture. La ruche de Layens, française dorigine y est fort communément en usage. Cette ruche ne comporte pas de hausse. La vaste chambre à couvain, tenant quatorze cadres de 35x30 cm offre la capacité pour le couvain et les provisions. Cest une construction en forme darmoire, à toit plat que des charnières relient au corps : les deux bouts de celui-ci sont munis de poignées métalliques. Le grand avantage est la facilité du transport de première importance là où lapiculture pastorale est de règle. Ceci vaut pour une bonne partie du pays près de la Méditerranée. Après que romarins et orangers aient fini de fleurir, les ruches sont transportées dans les régions plus hautes du plateau central où, en juin et juillet, abondent le thym et aussi la lavande et, de-ci de-là, le sainfoin. Le romarin donne une petite deuxième miellée à fin septembre, le long de la côte. Alors que je passais par le sud de Narbonne quelques jours plus tôt, par le célèbre district de Corbières, je notai que le romarin allait précisément se remettre à fleurir. En Catalogne, la production moyenne de miel de surplus est de lordre de 25 kg par ruche.
Selon les sources les meilleures, il y a environ un million deux cent mille ruches dabeilles en Espagne, dont un tiers de construction primitive. Mais le nombre réel pourrait dépasser de loin ce nombre. Le Portugal, dont la superficie ne représente que 15 % de la péninsule ibérique, a un total de 473 642 colonies, dont 111 924 en ruches modernes. La densité relative par km2 est, par suite, approximativement de 5,36 par km2 pour le Portugal est de 2,53 pour lEspagne. La signification de ces chiffres ressort mieux en les rapprochant de la moyenne de 1,5 pour lAngleterre et le Pays de Galles où il y a actuellement 219 545 colonies.
Dans les deux pays, la ruche Langstroth est une des plus répandues. De fait, le catalogue de la plus grosse maison de matériel dEspagne noffre que la Colmena Perfection (Langstroth) et la « de Layens ». Il nest pas fait usage de hausses à cadres bas mais uniquement de corps complets Langstroth en tant que hausses. Deux firmes se sont spécialisées dans la fabrication de cire gaufrée.
Lapiculture primitive reste bien ancrée, et à juste titre, tant en Espagne quau Portugal. A León et Orense, je suis tombé sur des ruches en tronc darbre et, en Castille, sur certaines en clayonnage, avec lhabituel recouvrement dargile. Néanmoins, le liège constitue le matériau usuel dans lequel sont construites les ruches primitives de cette partie du monde. Les vastes forêts de chênes liège fournissent un matériau idéal à cette destination, particulièrement en ce quil est un excellent isolant. Le liège, en outre, ne coûte pour ainsi dire rien et la confection ne demande ni peine ni adresse spéciale. Une feuille de liège, détachée de larbre et à laquelle on laisse reprendre sa forme naturelle, et quelques épines de bois de ciste enfoncées au raccord vertical, et le corps est assemblé. Un morceau de liège posé à plat coiffe le cylindre, formant toit, et la ruche est prête à lusage. Cest bien moins compliqué que de faire une ruche en vannerie ou en paille tressée. Columelle nous dit quà lépoque romaine on occupait les loisirs des esclaves à confectionner des ruches en liège.
Le diamètre des ruches en liège varie quelque peu. Il est dordinaire denviron 25 cm. La hauteur est denviron 45 cm. Ces ruches sont utilisées invariablement en position verticale jamais horizontalement ou empilées suivant lhabitude sicilienne ou dans le Moyen-Orient et généralement en grand nombre. Il nest pas rare den trouver une centaine et plus, alignées ou lune derrière lautre, en un seul endroit. De fait, ces apiculteurs à lancienne mode ont un dicton : « De cien uno y de una cien », signifiant : « Hors de cent, une et hors dune, cent », qui est une allusion au caractère transitoire des colonies dans les mauvaises années et à leur multiplication magique quand lannée est bonne et les circonstances favorables.
Il peut surprendre, peut-être, dapprendre quen Espagne et au Portugal lapiculture est pratiquée sur une aussi large échelle quailleurs en Europe. De fait, avec une densité moyenne denviron 2,9 colonies par km2, lapiculture doit forcément jouer un rôle important dans léconomie nationale. Il nexiste cependant pas dapiculture intensive telle que nous la connaissons. Ici, on laisse aller comme cela va : aucun effort nest fait pour améliorer la race. Des reines italiennes sont importées de-ci de-là. Il ny a virtuellement pas délevage de reines. Les apiculteurs commerciaux sen remettent au système pastoral pour faire recette. Cependant de gros apiculteurs commerciaux sont souvent trouvés aux endroits les plus inattendus. Jen ai rencontré un, entre Zamora et Salamanque, qui avait 800 colonies. Près de Séville, il y a une vieille entreprise familiale avec 2000 colonies, disposant dune installation demballage comme il ny en a pas de meilleure en Europe Septentrionale. Cette firme conditionne son miel en bocaux fort jolis, ornementés, de grandeur et de dessins différents.
Dans toute létendue de lEspagne, lapiculture est du ressort du Service Vétérinaire. Elle est généralement représentée dans les stations agricoles provinciales. On lenseigne également dans les grands instituts agricoles. Jen ai visité un certain nombre. Lun dans le Sud, près du cap Trafalgar, ne comporte pas moins de 27 km2 et on y enseigne toutes les branches de lagriculture, y compris lapiculture. Un autre Institut, près de Zamora, dans le nord-ouest, ma paru avoir un développement similaire. Il sagit là dorganismes privés, non étatiques. Jai toujours gardé limpression que les autorités espagnoles ne sintéressent guère à pousser lapiculture. Un mouvement a cependant été mis sur pied en vue de constituer un Institut National de Recherche Apicole mais il reste à voir sil sortira quelque chose de ce projet. Bien sûr, il est lamentable que lapiculture ne reçoive pas lappui souhaitable, car un grand pas en avant pourrait certainement être fait dans tous les domaines.
Les conditions au Portugal sont, à ce point de vue, quelque peu différentes. La précision des statistiques sur le nombre de colonies dans ce pays fait augurer que lapiculture y est lobjet de plus de sollicitude. Sr Vasco CORREIA PAIXAO est conseiller technique pour lapiculture au Ministère de lAgriculture. Il a aussi la fonction de Posto central de Fomento apicola. Jai noté de multiples manifestations pratiques du zèle avec lequel le Ministère vient en aide à lapiculture. LUniversité dOporto a publié une étude approfondie sur lanalyse des pollens des miels portugais (Martins dALTE, 1951).
Il paraît fort surprenant quon nait pas tenté jusquici de revue ou détude approfondie sur les abeilles de la Péninsule Ibérique. Jai déjà exposé que, très vraisemblablement, cest de cette souche que proviennent toutes les races foncées dApis mellifera, et quà son tour cette abeille descend de la Tellienne. Lhypothèse selon laquelle lorigine aurait été orientée à la fois vers le sud et vers le nord, est insoutenable en raison de ce que cest labeille tellienne qui possède au plus haut point, concentrés en elle, les caractères que manifestent les nombreuses sous-variétés.
Comme labeille se soucie fort peu de frontières politiques ou nationales, il paraît à peine correct de parler dune abeille espagnole ou portugaise. Il nest pas davantage question de diversifier plusieurs races, vu quil nexiste pas de barrières montagneuses pouvant isoler un secteur de la Péninsule de lautre et ainsi donner lieu au développement de races distinctes. Par contre, il y a diverses lignées distinctes, selon toute vraisemblance en raison de conditions géographiques et de climat différant de façon marquée dans la Péninsule. Mais il y a lieu de mettre laccent sur le fait que ces différences ne sont jamais plus que dans le degré dintensité dans les caractères basiques. Autant il serait erroné dattendre quelque chose qui nest pas présent dans le prototype, autant il le serait de supposer que des facteurs géographiques ou climatériques nexercent pas un effet sélectif sur les caractères basiques, spécialement chez un être aussi sensible aux influences que labeille.
Luis MENDEZ de PORRES, dans son traité dapiculture, publié par lui à Alcala de Henares en 1586, parle de la grande diversité en taille, tempérament et couleur des abeilles de son époque. Cest certainement encore vrai maintenant. Mais la grande diversité ne se borne pas à la taille, à laspect et au tempérament. Elle sétend à toutes les qualités sur lesquelles se base le rendement. Dans lensemble, labeille ibérique est noire comme jais et ce noir est souvent accentué par le peu de développement des tomenta et de la toison. Nulle part je nai pu trouver dabeilles que lon puisse dire jaunes, sauf de récentes importations. Néanmoins, jai observé de-ci de-là des marques jaune clair, restreintes à la zone où les trois premiers segments dorsaux joignent les plaques ventrales, tout comme noté occasionnellement chez la Tellienne en Afrique du Nord. Les reines sont noires et de couleur très uniforme. Elles sont rapides dans leurs mouvements et plutôt nerveuses. Elles sont prolifiques, mais leur fécondité est largement contrôlée par la présence de « pour faire » ou son absence. En dautres termes, pas de ponte excessive par temps de disette, ce qui arrive facilement à litalienne. Par contre, fécondité appropriée et à plein lorsque les conditions sont là. Une flexibilité de cet ordre est essentielle en présence des conditions climatériques ambiantes. Les colonies peuvent se développer en populations énormes quand les conditions sont bonnes et la valeur économique de telles colonies est ici sauvegardée par la modération en fait dessaimage. Lextrême tendance à essaimer de la Tellienne est sa condamnation, du point de vue de lapiculteur praticien. Labeille ibérique a en commun avec la Tellienne et ce en pleine mesure, sa robustesse extraordinaire. Elle est active et pas pour rien à des températures où dautres abeilles ne mettraient pas le nez dehors. Elle a aussi pleinement en partage la sensibilité aux maladies du couvain. Le recours généreux à la propolis est un des traits les plus indésirables de labeille ibérique. Cependant, on peut trouver des lignées ne manifestant pas cette propension. Pour ce qui est de lhumeur, les abeilles de lEspagne du nord-est et du pied des Pyrénées semblent plus irritables que dans le reste du pays. Mais jai rencontré des colonies sérieusement méchantes en des endroits très dispersés, par exemple au Sud de Malaga et aussi bien au Nord de Lisbonne. Dans lensemble, les abeilles ibériques ne sont certainement pas daussi bonne composition que les italiennes, mais nont rien de comparable à lagressivité de beaucoup dabeilles de France.
Ces observations sont basées sur ce que jai vu durant mon séjour en Espagne et au Portugal et sur mon expérience à Buckfast se bornant à la saison 1960. Lété sétant avéré un raté complet, dès juin et jusquà la fin de la saison, il na pas été possible de réunir de résultats comparatifs quant à la capacité de récolte de labeille espagnole pure ou de lmétis de premier croisement. Il aurait fallu pour cela opérer sur une série de saisons avant dobtenir des résultats solides. Je ne serais cependant pas fort surpris que labeille espagnole ne se hisse au niveau de labeille française, dont il a été démontré par lexpérience quelle est la plus remarquable productrice de miel de toutes les races européennes.
Jai déjà mentionné la sensibilité aux maladies du couvain, défaut commun à presque toutes les variétés de labeille noire commune dEurope. Toutes ces variétés partagent aussi caractéristiquement une sensibilité à lacariose qui se trouve chez la Tellienne, lancêtre commun, dont elles descendent. Lacariose sévit fort dans toute la Péninsule et en particulier le long de la Méditerranée et en Andalousie. De fait, il ma été dit que les pertes étaient si fortes quelles ont causé une baisse du nombre des colonies en Espagne. Les autorités sont arrivées à la conclusion que les traitements nont guère dutilité, et que la seule solution à longue échéance serait de développer une abeille résistante. Des expériences en ce sens sont en cours à Malaga.
En me mettant en route pour lEspagne, javais le ferme espoir davoir loccasion de visiter cette grotte unique près de Bicorp, à quelque 80 km au sud-ouest de Valence où se trouvent les fameuses peintures. Ces peintures sur la roche, dans la Cueva de la Arana, représentent un homme, sur une paroi rocheuse, récoltant du miel dune cavité. Cest le monument le plus ancien, de son espèce, ayant trait à lapiculture : on estime quil remonte à entre 8 000 et 10 000 ans suivant les avis. Il a été peint selon toute probabilité en un temps où la plus grande partie de lEurope au nord des Pyrénées et des Alpes subissait encore la dernière étreinte attardée de la période glaciaire.
Nous quittâmes Valence de bon matin, mais dautres occupations nous empêchèrent darriver à Bicorp avant quatre heures de laprès-midi, pour nous entendre dire que la caverne était à une bonne heure de là et quon ne pouvait y aller quà pied. Nous ne disposions pas du temps nécessaire, devant être le soir à Alicante, ce qui nous faisait encore une fameuse trotte. A notre vif désappointement, force nous fut de repartir sans avoir vu les peintures.
Durant la première partie de notre voyage, nous dûmes nous accommoder de chaleurs extrêmes. Je noublierai jamais la journée passée à Murcie, au cours de laquelle même mes compagnons, cependant habitués aux hautes températures, trouvèrent la chaleur presque intenable. Sur la fin, ce furent de fortes pluies qui rendirent lavance pénible dans le nord du Portugal. Le froid ne nous épargna pas non plus : nous en avions à peine fini dinspecter le tout dernier rucher, sur une saillie dune montagne presque verticale dominant Colvilha quil nous fallut prendre les jambes au cou pour nous abriter dune tempête de grêle. Le matin suivant, sur le chemin de retour depuis Guardia, cétait nettement hivernal. Grâce à la détermination dont firent preuve mes assistants, nous en finîmes fort à propos.
Je voudrais profiter de loccasion pour exprimer ma gratitude pour laide fournie par les Ministères de lAgriculture à Madrid et à Lisbonne. Je suis particulièrement obligé à Sr A.G. de VINESA, Sr J.M. SEPULVEDA et Sr Vasco CORREIA PAIXAO. Ce dernier eut la tâche la plus difficile, peut-être, quil remplit néanmoins avec autant de patience que de persévérance. Je désire aussi exprimer mes remerciements aux nombreux apiculteurs espagnols et portugais qui, si généreusement, mabandonnèrent les reines nécessaires à la poursuite dexamens et délevages ultérieurs.