La préhistoire des abeilles débute au crétacé, il y a environ cent quarante millions dannées. A cette époque apparaissent les premières fleurs; sinstalle alors, avec les insectes, une étonnante symbiose, qui sest diversifiée et enrichie jusquà nos jours.
Il est plutôt inattendu que lapparition des insectes sociaux débute, elle aussi, très tôt. Il y a cent vingt millions dannées, les hyménoptères, (guêpes, fourmis, abeilles archaïques) prennent leur essor; ce sont les lointains ancêtres de notre abeille.
Lancêtre la plus proche ressemblait alors à une sorte de fourmi ailée, appelée mélipone, spécialisée dans la recherche de nourriture sur les fleurs. Un morceau dambre, vieux de quatre-vingt dix millions dannées, du New Jersey, contient, intact, le fossile dun de ces insectes. Parmi les plus de cinq cents espèces de mélipones recensées actuellement dans les climats tropicaux et subtropicaux, il en existe une qui ressemble à sy méprendre à celle du New Jersey. Plus près de nous, il y a cinquante millions dannées, nous disposons dun ambre de la mer du Nord avec un mélipone qui manifeste des tendances dévolution autant vers labeille que vers le bourdon.
Des fossiles provenant des schistes danciens marais dAllemagne, vieux de vingt-quatre millions dannées, nous ont fait croire que lon avait trouvé la première abeille, proche de celles des espèces vivant en Inde. Mais cétait une fausse piste. Car on a trouvé récemment, dans dautres schistes vieux de quarante à quarante-cinq millions dannées ce quil convient dappeler, provisoirement, le plus vieux fossile dabeille. On est effectivement en présence dune véritable abeille, morphologiquement proche, elle aussi, de certaines abeilles indiennes actuelles; et déjà éloignée de lancêtre mélipone. Cest un titre de gloire de larchéologie que de chercher à contredire sans cesse, les fragiles preuves qui lui servent de base.
Des fossiles, dil y a douze millions dannées, ne font que confirmer quune évolution, extrêmement lente, était à louvre chez labeille. La planète durant toute lère tertiaire, c. à d. depuis principalement cinquante millions dannées se refroidit progressivement, pour aboutir aux périodes glaciaires, il y a un à deux millions dannées.
Les conséquences des refroidissements pour labeille sont nombreuses :
Avant les glaciations, il y a au moins deux à quatre millions dannées, une des abeilles indiennes, lancêtre de lactuelle cerana, amorce une évolution qualifiée de rapide en regard des évolutions précédentes. Elle commence par acquérir toute une série de capacités physiologiques et techniques importantes, qui lui permettent daffronter les périodes de plus en plus froides et longues. Elle « invente » :
La reconquête des régions tempérées redevient possible, pour cette abeille qui se réinstalle alors de Chine jusquau Japon. Puis via la Perse et le Moyen Orient elle pénètre en Europe.
Deux incidents parmi dautres font que cette abeille dorigine indienne subira une évolution et une différenciation accélérées :
On sait que ces successifs coups de chaud et froid sur lEurope, ont chaque fois obligé les abeilles survivantes à se réfugier dans des niches tempérées du bassin méditerranéen. Celui-ci, aujourdhui encore, héberge quatorze, des vingt-cinq races dabeilles recensées. Elles nont pas manqué de se rencontrer, et de se croiser dinnombrables fois.
Ainsi la Méditerranée a prêté refuge à Apis mellifica dite abeille noire. Celle-ci, certes bien avant les dernières glaciations, est devenue la championne de ladaptation et de la résistance au froid. Ainsi p. ex. sa robe jaune a muté au noir pour mieux sadapter au froid. Cest encore elle qui, à la fin de la dernière glaciation a reconquis tout le continent, des Pyrénées jusquà lOural. Mais au moins une à deux glaciations auparavant, lancêtre des abeilles noires actuelles a, peut-être, réalisé une autre prouesse.
En effet à considérer la carte de la présence des différentes races dabeilles sur la planète, je propose lhypothèse suivante :
Labeille noire a pu simplanter, la première, dans tout le continent africain. Au plus fort des périodes glaciaires il existait de nombreux passages entre lAfrique et lEurope. A la dernière glaciation p. ex. la Méditerranée était à plus de cent mètres en dessous du niveau actuel.
Plus tard, sa lointaine sur bloquée au Moyen-Orient et jusque dans la Péninsule Arabique, a « saisi sa chance » quand le continent Africain sétait suffisamment rapproché. Cette abeille, davantage habituée à la chaleur, ayant gardé sa robe jaune, a alors pénétré, à son tour, le continent africain.
Vu ses prédispositions pour les tropiques cette abeille jaune a évincé labeille noire venue plus tôt dEurope. Un scénario similaire a eu lieu, sous nos yeux, en Amérique du Sud. En quarante années les abeilles de races européennes ont été balayées des régions tropicales et subtropicales, par labeille africaine scutellata importée par lhomme.
Il subsiste dans les montagnes africaines, tel le Kilimandjaro ou les Monts Moutchinga, ou les hauteurs dEthiopie, etc. une abeille noire, relativement douce. Il sagit dune population relique de lancienne abeille noire. Elle est essentiellement protégée de lenvahissement de labeille jaune par des températures nettement moins chaudes des forêts daltitude.
Ces reliques dabeille noire, ne peuvent sêtre développées à partir des abeilles jaunes, trop différentes et dont on constate seulement les effets des croisements naturels avec cette dernière. Labeille noire na pas pu davantage traverser, par la suite, les vastes régions quoccupe labeille jaune pour venir sinstaller sur les hauteurs. Ces dernières moins hospitalière et plus froides, ont dailleurs souvent fonctionné comme ultime refuge aux espèces menacées.
Labeille noire dAfrique du nord, protégée par lAtlas, vient renforcer lhypothèse. A la fin de la dernière glaciation, la Méditerranée a donc été la grande zone de repli de toutes les races dabeilles dEurope. Les croisements et aussi les différenciations ont été nombreux. Un bon exemple est labeille sicilienne appelée sicula.
La Méditerranée, étant donné le bas niveau de leau, était coupée en deux bassins lors de la dernière glaciation. Entre les deux sétait établi un passage qui englobait lItalie du Sud, la Sicile, et lEst Tunisien. Labeille noire de Tunisie y a rencontré la souche carnica. Cela explique pourquoi la Sicile héberge une race contenant les caractéristiques de lintermissa et de la carnica. On pourrait dire quil sagit là dun bel exemple de croisement naturel stabilisé.
Les scientifiques ont mis en évidence des parentés de :
Le Fr. Adam observe les mêmes parentés entre :
La surprise vient de la biologie moléculaire qui prouve que linfluence de labeille africaine se détecte, certes décroissante, jusquaux pieds des Pyrénées via le Portugal puis le Maroc et enfin le sud du Sahara.
Le Fr. Adam connaissait toutes ces relations entre races. Ses travaux et voyages ont puissamment contribué à les mettre en évidence. Son abeille est une sorte de copie, à léchelle humaine, de ce que la nature a fait sans relâche durant des millénaires.
Question : Depuis plus de 22 années la race dabeille Buckfast est connue et diffusée en France. Votre première édition de ce livre a paru en 1985. Il serait donc intéressant de procéder de nouveau à un tour dhorizon, et de recueillir le plus grand nombre possible dinformations à son sujet, et ceci dautant plus que le Fr. Adam est mort le 3 septembre 1996 à lâge de 98 ans. Ce départ nest pas sans soulever de nouveaux problèmes : nous en débattrons. De nombreux jeunes apiculteurs voudront également être informés, dune manière complète, des méthodes et systèmes utilisés dans cette apiculture. Lélevage, si fondamental en ce qui concerne labeille Buckfast, devra aussi être abordé dans le large contexte des défis apicoles actuels. Mais tout dabord redites-nous comment et par qui fut créée cette abeille ?
Réponse : La race Buckfast a été créée par le Frère Adam, voilà 80 ans, au monastère de Buckfast, dans la région du Devon, située au sud-ouest de lAngleterre. Cette création nest pas le fruit dun programme génétique particulièrement élaboré, mais dune dure réalité apicole. En effet, la maladie de lîle de Wight, cest-à-dire lacariose, a complètement anéanti labeille noire anglaise au début de ce siècle. En 1917, le Fr. Adam, fraîchement promu responsable du rucher du monastère, devait donc dès le début faire face à une catastrophe apicole sans précédent.
Tout le monde ignorait à cette époque lorigine du mal qui avait également réduit à quelques unités le rucher du monastère. Pourtant une constatation simposa très vite : toutes les ruches survivantes hébergeaient une reine étrangère ou une descendance directe de celle-ci.
La race italienne de lépoque, de couleur jaune cuir, et non jaune clair, dénommée Ligurienne, se faisait spécialement remarquer par la résistance à cette mystérieuse épidémie. Elle avait été importée au rucher du monastère juste avant lépidémie.
A vrai dire le Fr. Adam assistait, désarmé, à une impitoyable sélection naturelle qui élimina totalement, en peu dannées, labeille anglaise, la sur de labeille noire française. Cette rapide disparition, aussi totale que radicale, dune excellente race locale, parfaitement adaptée à son biotope, a provoqué chez le Fr. Adam une remise en question des vieux principes selon lesquels labeille du terroir est la plus apte à affronter les vicissitudes de son milieu !
Dans les ruches survivantes, une reine italienne, fécondée par des mâles noirs anglais, se fit remarquer par ses qualités exceptionnelles de butineuse, et sa résistance à lacariose. Cest de cette souche quest parti ce qui devait devenir la race Buckfast. Voilà, en résumé, lorigine de cette abeille, telle que lexplique en détail, le Fr. Adam dans ses trois livres :